Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
mission de remettre dans le bon chemin. Il ne
peut y avoir ni vainqueur ni vaincu dans le « Combat dans le Ciel », mais
seulement une fusion entre deux composantes
qui, séparées, provoquent les pires catastrophes, mais, unies, réalisent l’harmonie
du monde. Mais pour parvenir à cette fusion, le combat paraît toujours périlleux
et difficile, et il n’est pas à la portée de n’importe quel individu. C’est le
sens de l’intervention de l’Archange Michel, pure émanation du divin, revêtu
des qualités humaines qui lui sont nécessaires pour accomplir l’acte
régénérateur.
IV
GARGANTUA, PROMÉTHÉE ET LE DRAGON
Le Mont-Saint-Michel occupe une place révélatrice dans la
tradition concernant Gargantua. On a vu que le Monte-Gargano contenait le nom
de cette divinité gigantesque qui a perduré sous forme de personnage
folklorique au cours des siècles et quelle que soit l’idéologie dominante. Gargantua,
le Dieu « à la cuisse courbe », qui appartient à la même lignée que l’Héraklès
grec dont il emprunte parfois les traits, est un héros parfaitement ambigu :
il est à la fois un être de Lumière en ce sens qu’il rétablit l’équilibre des
forces en présence, qu’il combat les injustices, qu’il instaure un royaume
idéal, mais il est aussi un personnage chthonien, un personnage monstrueux dont
le gigantisme rappelle qu’il n’est pas un humain comme les autres, que son
origine est titanesque.
Une tradition qui voit le jour en 1532, sous la forme d’un
récit attribué sans raison à Rabelais, nous donne de l’origine de Gargantua une
version assez étrange, et le met en rapport très étroit avec le Mont-Saint-Michel.
Le point de départ est le souci de l’enchanteur Merlin de procurer à son
protégé, le roi Arthur, un combattant qui puisse lui venir en aide contre
ses ennemis, en particulier des géants qui menacent son royaume.
Merlin se transporte sur une montagne d’Orient dont on n’indique
pas le nom, mais il est probable qu’il s’agit du Monte-Gargano. Il a apporté
avec lui « une ampoule du sang de Lancelot… la rognure des ongles de la
belle Guenièvre, épouse du roi Arthur ». Puis il mélange le sang et la
rognure à des « ossements de baleine mâle ». Il réduit le tout en
poudre : « Et alors, par la chaleur du soleil, fut engendré le père
de Gargantua. » Merlin répète l’opération avec des ossements de baleine
femelle, « et de cette poudre fut faite la mère dudit Gargantua ». Après
quoi, Merlin forme une grande jument grâce à une carcasse découverte sur la
montagne. Grandgousier et Gargamelle, car tels sont les noms des deux êtres
humains qu’il vient de créer, s’unissent sexuellement et donnent naissance à
Gargantua. Alors Merlin les quitte en leur ordonnant, lorsque Gargantua sera
élevé, de partir sur la grande jument en direction de l’ouest.
Cette « création » de Grandgousier et de
Gargamelle, suivie de la procréation « naturelle » de Gargantua, a
évidemment quelque chose d’étrange. Certes, la plaisanterie n’est pas niable, mais
elle se trouve au premier degré. D’abord, Merlin, auprès d’Arthur, joue le rôle
de Varuna auprès de Mithra. Il est le druide, le magicien, le prophète, l’animateur
et le démiurge. Sa fonction est donc de créer une sorte d’émanation divine, un
redresseur de torts qui assurera l’équilibre du royaume. Pour ce faire, qu’emploie-t-il ?
Du sang de Lancelot, le meilleur chevalier d’Arthur, mais aussi le marginal, celui
qui représente l’entité divine Lug, le Multiple-Artisan, et la rognure des
ongles de Guenièvre, personnage féminin de grande importance puisqu’elle
symbolise la collectivité et joue en fait le rôle de la Déesse-Mère. Il s’agit
donc de l’union du Dieu primordial avec la Déesse primordiale. Et l’utilisation
d’ossements de baleine est significative : il y a un jeu de mots sur
baleine qui rappelle évidemment le Belenos gaulois, c’est-à-dire le « Brillant »,
surnom de Lug-Mercure. C’est l’indication d’un élément solaire, renforcé par l’action
du soleil sur le mélange. Ainsi Gargantua sera-t-il issu d’une lignée divine, même
si cette lignée est présentée sous d’apparentes plaisanteries. Et, nécessairement,
Gargantua jouera un rôle solaire.
Cependant, quand l’enfant atteint l’âge de sept ans, Grandgousier
et Gargamelle s’en vont vers le couchant, laissant la grande jument se
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