Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
malheurs de la guerre, engendrés évidemment par les
Anglais et leurs alliés bourguignons, malheurs nécessairement parés de couleurs
sombres, il fallait susciter une salvation, une délivrance qui ne pouvait être
que lumineuse : le soleil chasse la nuit, et, par conséquent, le désir
profond de chacun est de voir se lever un héros – ou une héroïne – de lumière
pour chasser les ténèbres ennemies. C’est tout le sens de l’épopée de Jeanne d’Arc.
Mais le patronage de sa mission, qu’elle a clairement identifié sous l’apparence
de saint Michel, donna à l’Archange un renom et une puissance inégalables. Il
devint, plus que tout autre saint, plus que tout autre Ange, le garant de la
victoire sur l’ennemi anglais. C’était un ange guerrier, et il ne pouvait que
plaire aux capitaines et aux hommes d’armes, surtout ceux qui avaient été les
compagnons de Jeanne d’Arc. Le roi de France lui-même ne pouvait faire
autrement que de reconnaître que son royaume avait été protégé par Michel, un Archange
envoyé par Dieu. Et le culte de saint Michel devint quasi officiel.
On sait que chacun des princes d’Europe occidentale avait
son propre ordre de chevalerie. En France, Jean le Bon avait créé l’Ordre
de l’Étoile, mais il était tombé en désuétude, et Charles VII voulait le
remplacer. En Bretagne, Jean IV de Montfort, qui avait obtenu la victoire,
à la bataille d’Auray, sur son rival Charles de Blois et sur Bertrand du Guesclin, le jour même de la fête de saint Michel en
1364, avait fait bâtir une collégiale Saint-Michel sur l’emplacement du combat
et fondé l’Ordre de l’Hermine. Le duc de Bourgogne Philippe le Bon avait
créé la prestigieuse Toison d’Or dont les
implications mythologiques et ésotériques ne sont plus à démontrer, et tous les
grands seigneurs désiraient en être dignitaires. Louis XI fonda alors un
nouvel ordre de chevalerie, l’Ordre de Saint-Michel, le 1 er août
1469, au château d’Amboise. Il existe une légende selon laquelle la véritable
fondation de l’Ordre aurait eu lieu au Mont-Saint-Michel, dans la salle dite « scriptorium »
et devenue depuis « Salle des Chevaliers », mais aucun document ne
vient confirmer cette affirmation. Il n’empêche que les statuts évoquent « un
ordre de fraternité et amiable compagnie ». On donnait à l’Archange,
« premier chevalier », la présidence suprême de cette fraternité « qui,
son lieu et oratoire, appelé le Mont-Saint-Michel, a toujours heureusement
gardé, préservé et défendu sans être subjugué ni mis aux mains des anciens ennemis
de notre royaume ». Il est vrai que Louis XI avait visité le Mont en
1462 et qu’il avait été fort impressionné par le lieu et les beautés
architecturales. En faisant rédiger l’acte de fondation de l’Ordre, il ne
pouvait que penser à cette redoutable abbaye-forteresse qui, malgré la présence
constante des ennemis, n’avait pas succombé à leur pression. Le Mont devenait
un symbole patriotique – si tant est que ce mot pût exister à cette époque – en
même temps qu’un symbole religieux et une image mystique.
Le nombre des chevaliers de l’Ordre était fixé à trente-six.
Ils devaient porter, comme signe distinctif, le collier de l’Ordre, c’est-à-dire
des coquilles d’or entrelacées d’un double nœud en forme de huit. Ces
décorations étaient fixées sur une chaîne à laquelle était suspendue une
médaille représentant le combat de saint Michel et du Dragon. La devise de l’Ordre, immensi tremor oceani (la terreur de l’immense
océan), y était inscrite, rappelant que l’Archange effrayait les ennemis du
Mont en suscitant des orages et des tempêtes sur la mer. Le collier était seulement
confié au dignitaire. Il appartenait à l’Ordre, et, à chaque décès, il devait
être rendu.
En fait, les réunions de l’Ordre ne se tinrent jamais au
Mont-Saint-Michel qui était trop éloigné et qui convenait mal aux cérémonies
royales. Elles eurent lieu dans la chapelle Saint-Michel, dans la cour du
palais de l’île de la Cité. Au XVI e siècle,
on perdit quelque peu le sens véritable de l’Ordre de Saint-Michel : il
fut souvent remis par les princes à leurs partisans et ne fut plus autre chose
qu’une récompense pour bons et loyaux services. Et quand Henri III créa, en
1579, le nouvel Ordre du Saint-Esprit, l’Ordre de Saint-Michel ne fut plus
attribué qu’aux
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