Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
que le terme Dolent dérive de Dol (qui serait en breton actuel daol ), qui signifie « table », ce qui
qualifie aisément le site du Mont-Dol. Mais une tenace légende locale prétend
que, dans le Champ-Dolent, s’est déroulée une bataille inexpiable entre deux
frères rivaux. La violence y était telle que les moulins d’alentour allaient
plus vite à cause des flots de sang qui gonflaient les ruisseaux. Mais, au
moment où les deux frères allaient s’entre-tuer, une énorme pierre tomba du
ciel et vint se planter entre eux. Cette pierre, c’est évidemment le menhir de
Champ-Dolent, dont le nom serait alors « Champ de la Douleur ». Étrange
histoire… Les sceptiques prétendent qu’il s’agit simplement du souvenir d’une
bataille réelle qui opposa en 960, dans la région, le roi mérovingien
Clotaire 1 er à son fils révolté Chramme, qui avait trouvé
refuge auprès de saint Samson. Peut-être. Mais l’histoire réelle ne fait que
recouvrir un mythe : le combat de Michel et de Satan. Car Satan n’a pas été tué par l’Archange , celui-ci
se contentant de le chasser, ou de le maîtriser, ou encore, selon certaines
versions de la légende, de l’enfermer dans une grotte d’où il ne surgira qu’à
la fin des temps. Alors, dans ces conditions, le combat inexpiable de
Champ-Dolent n’est sans doute qu’une localisation de ce que certains appellent
le « drame dans le ciel », lorsque Satan entraîna avec lui les Anges
déchus – mais toujours Anges – et se heurta aux cohortes d’Anges restés fidèles
à Dieu et conduits par le plus brillant d’entre eux, celui qui pose
éternellement la même question à Satan comme à nous-mêmes : qui est comme
Dieu ?
C’est ce contexte mythologique qui m’intéressait le plus en
cette première visite du Mont-Dol. Certes, la beauté du paysage m’étonnait. Du
haut de ce tertre de 65 mètres, l’ensemble des marais de Dol s’étale dans
une immense vision de l’infini. Au loin, dans la brume légère, le rocher de
Cancale. Vers l’est, dans une demi-teinte violacée, quelques contours qu’on me
dit être le Mont-Saint-Michel. Mais j’avoue que je ne distinguais rien de
précis. Il y avait surtout l’immensité. Décidément, c’était un bel endroit pour
le combat de l’Ange et du Démon, du Ciel et de la Terre, de la Lumière et des
Ténèbres, de la Terre et de la Mer. Et les troupeaux paissaient paisiblement au
pied des rochers, là où autrefois s’était élevée une forêt de chênes trapus, là
où, plus tard, le flot de la mer avait balayé de son écume les rochers déchiquetés.
Mais c’était dans le temps… Au temps où l’on croyait aux merveilles que racontaient les bardes inspirés par
Brigitte, la déesse celtique de la poésie, la fille de Dagda, le dieu qui porte
une massue bien étrange : une massue qui tue quand on en frappe par un
bout, et qui ressuscite lorsqu’on en frappe par l’autre. Et derrière Dagda, le « dieu
bon », c’est l’ombre de Gargantua qui se profile. N’ai-je pas raison de
préférer le « paganisme » au Christianisme ?
Je n’oublie pas que nous étions guidés par l’abbé Gillard, et
conduits par l’abbé Gernigon. Ce dernier était manifestement plus intéressé par
le café installé près de l’ancien moulin à vent restauré que par la
signification du site. Mais il voulait nous faire plaisir, et il savait que la
manie de l’abbé Gillard était de pénétrer dans chaque sanctuaire qu’on pouvait
rencontrer et de se livrer à une étude systématique de ce qui s’y trouvait, vitraux,
statues, ornementations diverses, tout ce qui offrait matière à réflexion. Et
comme le « Recteur de Tréhorenteuc » me répétait sans cesse que Jésus
n’était pas venu pour innover, ni même pour inventer quoi que ce soit, mais
simplement pour mettre l’accent sur des principes essentiels qu’on avait eu
tendance à oublier, je me sentais moi-même parfaitement à l’aise pour insister
sur ce qui me paraissait spécifiquement pré-chrétien, pour ne pas prononcer le
mot de païen, ce qui est toujours très désagréable à l’oreille d’un prêtre
catholique. De toute façon, après chaque visite d’un monument, tandis que l’abbé
Gernigon se précipitait vers un café pour étancher sa soif qu’il avait grande, l’abbé
Gillard, Claire et moi, nous tenions une sorte de conférence pour mettre en
commun nos observations. Et comme j’avais souvent des
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