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Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Titel: Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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pour en laisser plus à Madame de la Chastière, laquelle,
on le savait, se fardait abondamment « pour réparer des ans l’irréparable
outrage ». Mais tout cela ne porte guère bonheur au couple indélicat :
M. de la Chastière meurt d’apoplexie, ayant seulement le temps de se
réconcilier avec l’Église, et Madame de la Chastière, criblée de dettes, doit
quitter précipitamment le Mont en abandonnant ce qui lui reste de biens.
    Il y avait aussi les habitants de la ville, ceux qui
tiraient profit de l’abbaye tout en n’en faisant pas partie, autrement dit les « marchands
du Temple ». Au XVIII e  siècle, la
plupart des 250 Montois étaient des aubergistes, des marchands de béatilles (nous dirions « souvenirs », ou
même « bondieuseries »), des marins et des pêcheurs dont l’activité
était proportionnelle à l’abondance des pèlerins. Cette population, assez dense
pour un territoire exigu, était fort agitée, car l’animosité profonde qui
existait entre cinq ou six familles, très âpres à défendre des intérêts
contraires, faisait du Mont-Saint-Michel un théâtre de querelles publiques
permanentes. D’ailleurs, les religieux en profitaient largement : pour
avoir eux-mêmes la paix, ils entretenaient à merveille les querelles entre ceux
qu’ils considéraient parfois comme des concurrents, ou prenaient parti pour
ceux qui leur manifestaient leur reconnaissance. Par contre, ils s’acharnaient
contre ceux qui avaient eu le malheur de leur déplaire.
    C’était le cas du syndic Guillaume Ridel, « chirurgien,
propriétaire de l’hôtellerie à l’enseigne de la Licorne  ».
La famille Ridel était à couteaux tirés avec la famille Oury, laquelle était au
mieux avec les moines. Or, en 1764, en sa qualité de syndic, Guillaume Ridel
avait fait connaître au subdélégué d’Avranches que les moines avaient commis un
abus de pouvoir, donnant l’occasion à son concurrent acharné, Oury, de s’enrichir
illégalement. Ridel porta plainte devant le Parlement de Rouen, « contre
les souverains des postes du Mont », entendez les moines. Le texte de la
plainte est assez caractéristique : « Autrefois, le Mont-Saint-Michel
était un lieu édifiant ; aujourd’hui, les religieux le regardent comme une
prison de leur ordre. La police qu’ils exercent est vexatoire ; le
principal commerce du lieu est celui des choses qu’on vend aux pèlerins ; chaque
marchand s’empresse d’offrir sa marchandise et c’est une occasion de querelles.
Le commandant avait, à cet effet, réglé le rang des marchands ; chacun
devait vendre à son tour et ne pouvait équiper de suite deux compagnies. Si la
loi était bien appliquée, ce serait parfait ; mais les moines prétendirent
que ceux qui n’étaient pas marchands participeraient au profit des marchands ;
ils voulaient que chaque marchand eût un associé non marchand, qui ne mettrait
rien dans le commerce, qui ne risquerait aucune perte, et qui, cependant, aurait
la moitié des profits. » [40] L’affaire s’envenima :
le beau-frère de Ridel, un certain Natur, se livra à des voies de fait sur un
des membres de la famille Oury et fut emprisonné. Les religieux, protecteurs de
la famille Oury, accusèrent Ridel d’avoir monté le coup, et les esprits s’échauffèrent
dangereusement.
    Guillaume Ridel, proprement exaspéré par la mauvaise foi des
moines, déposa contre eux une nouvelle plainte d’ordre économique et fiscal. Il
fit connaître aux autorités que les religieux ruinaient le commerce des
liquides et ruinaient le Trésor parce qu’ils permettaient aux pèlerins d’emporter
du vin acheté chez Oury, vin qui eût dû légalement être consommé sur place. Le
vin, ainsi transporté, pouvait être revendu à bon compte, puisqu’il n’était pas
assujetti au droit de consommation. Donc, Oury, en exportant son vin, retirait
un grand profit de la vente de ses liquides et causait un tort considérable à
la Régie.
    Tout cela fut l’occasion d’une belle pagaille judiciaire et
de nombreuses disputes au Mont. De plus, Guillaume Ridel avait un contentieux à
régler avec les autorités. En 1757, son auberge de la Licorne avait été
réquisitionnée par le prieur et l’officier de la maréchaussée pour y loger des
troupes de renfort. On craignait en effet un débarquement anglais sur les côtes
du Cotentin. Et les troupes avaient saccagé son auberge, bu ses réserves de vin
et occasionné un manque à

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