Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
pénitence. L’Archange demeure inflexible, et il
faut que Marie donne sa caution pour qu’il accepte un sursis. Colibert entend
la voix de Michel à ses oreilles : « Pourquoi as-tu eu l’audace de
vouloir pénétrer mes secrets ? Sors d’ici et repens-toi, car la mort
viendra bientôt te surprendre comme un voleur. » La vision disparaît alors
et Colibert se retrouve sur le pavé, au pied des marches de la porte principale.
Et il perd conscience.
Le lendemain, quand ils ouvrirent les portes, les
sacristains le trouvèrent inanimé. On le transporta dans une chambre et on le
soigna. Devant le prieur, il raconta ce qui lui était arrivé, et il se confessa
pieusement, reconnaissant son orgueil et son manque de foi. Et il mourut le
troisième jour.
Cette tradition appartient évidemment à toute une série de
récits destinés à l’édification des fidèles : moins on en sait, mieux on
se porte, semble-t-il, et les secrets sont ainsi fort bien gardés. À force de
vouloir pénétrer le Sacré, celui-ci perd sa valeur et se dilue dans le
quotidien. Et surtout, il se venge. L’avertissement vaut pour tous ceux qui
tenteraient d’aller plus loin qu’il n’est permis dans l’exploration des
corridors profonds du Mont-Saint-Michel. Il ne faut pas oublier que le Dragon rôde dans ses corridors et que seul saint
Michel est capable de le dompter. D’ailleurs, à quoi servirait de voir l’Archange
terrasser le Dragon, puisqu’il est le seul à pouvoir le faire ? Là réside
toute l’ambiguïté du Mont. Et bon nombre de récits, historiques ou légendaires,
viennent prouver qu’au Mont-Saint-Michel, l’éternel combat que se livrent les
Forces de Lumière et les Forces de Ténèbres s’incarne dans le quotidien.
Au XII e siècle, sous l’impulsion
de Roger II, prieur de l’abbaye, homme « docte, de grande religion et
capable de gouverner un monastère », l’ancienne discipline de saint Benoît
a été rétablie et l’abbaye est en pleine prospérité. Il y a cependant un point
noir, l’animosité d’un seigneur voisin, le baron Thomas de Saint-Jean. Non
seulement celui-ci ne veut point acquitter la redevance qu’il doit chaque année
au monastère, mais il excite contre les moines plusieurs de ses vassaux et
ravage journellement leurs terres. Que faire pour que cessent les exactions de
ce seigneur orgueilleux et querelleur ? Le prieur répugne à employer la
force. Certes, il serait facile de dépêcher quelques bons sergents pour
surprendre Thomas de Saint-Jean et lui faire payer cher ses brigandages, mais
le sang coulerait, et ce n’est pas le rôle des hommes de Dieu de faire couler
le sang. Alors, Roger réunit les moines, leur expose la situation et tient
conseil avec eux.
Et voici ce qui est décidé : « Sans omettre un
seul jour, il sera célébré, devant l’autel Saint-Michel, pendant que l’on
chantera la messe, une clameur très pieuse en
présence du très saint et très véritable corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, chantant
avec larmes miserere mei et clamant kyrie eleison . » Ainsi est fait. Mais le baron,
averti que les moines célèbrent contre lui un office
de clameur , se contente d’en rire : « Qu’ils prient, ces bons
moines, dit-il, tant qu’il leur plaira ; ce n’est pas leur saint Michel
qui éteindra ma torche ou émoussera la pointe de mon épée ». Et il
continue à ravager les terres de l’abbaye.
Le dix-huitième jour, alors que l’office vient de se
terminer, on vient annoncer au prieur qu’une troupe armée, auprès de Tombelaine,
paraît se diriger vers le Mont. On distingue même le gonfanon rouge, à trois
langues, du baron de Saint-Jean. Bientôt, la cohorte guerrière fait son entrée
dans la ville et les habitants, épouvantés, se réfugient dans leurs demeures. Le
baron, à la tête de ses hommes, gravit les escaliers, et fait donner un coup de
massue dans la porte de l’abbaye. La porte s’ouvre, et le prieur se présente au
milieu de ses moines. L’affrontement est imminent. Mais personne ne bouge. On
attend. Finalement, c’est Thomas de Saint-Jean qui parle le premier. Il est
furieux, et il s’écrie avec violence : « Moines ! est-il vrai
que chaque jour, voue criez contre moi jusqu’à Dieu ? » Le prieur
répond que c’est la vérité. Tout aussi courroucé, le baron demande la raison de
cette clameur : « Parce que, répond le prieur, tu as dépouillé et
volé mon maître saint Michel ! »
Cette
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