Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
d’un assemblage de grosses pièces de bois renforcées à l’intérieur par
des barres de fer. Le prisonnier que l’on y enfermait devait vivre dans un
espace cubique de moins de trois mètres de côté. Cette cage était suspendue à l’aide
de crampons de fer scellés dans la voûte de pierre : ainsi, à chaque
mouvement que faisait le condamné, la cage oscillait, et l’on imagine le
supplice que provoquait cette instabilité permanente et le vertige qui s’ensuivait.
Il y avait deux trous dans la porte d’entrée, par lesquels on faisait passer la
nourriture et un bassin pour les besoins naturels. Ce singulier instrument de
supplice fut en usage pendant toute la fin de l’Ancien Régime, et destiné
essentiellement à des condamnés politiques. Ainsi en fut-il pour Noël Béda, universitaire
chevronné qui avait eu l’audace de se moquer, lors d’un sermon, de la coûteuse
et fastueuse entrevue du Camp du Drap d’Or, entre François 1 er et
le roi d’Angleterre Henry VIII. Il y resta deux ans avant d’y mourir. Au XVII e siècle, le bénédictin François de Chavigny
de La Bretonnière, qui avait publié en Hollande un pamphlet contre Le Tellier,
archevêque de Reims et frère de Louvois, pamphlet dont le titre était Le Cochon mitré , y fut également enfermé avant d’y
mourir complètement fou.
En 1777, les fils du duc d’Orléans, conduits par leur gouvernante,
Madame de Genlis, visitèrent l’abbaye du Mont-Saint-Michel et purent voir la
fameuse cage que d’ailleurs, quelques mois auparavant, le comte d’Artois, frère
de Louis XVI, avait ordonné de détruire. Le jeune duc de Chartres, c’est-à-dire
le futur Louis-Philippe, roi des Français, nous a laissé une description assez
saisissante de la fillette : « Elle
était formée par de grosses pièces de bois, dans un cachot affreux et humide. Il
y avait sur un poteau une fleur que ce malheureux (Dubourg) y avait gravée avec
un clou. Le prieur nous dit que cette cage ne servait presque jamais, qu’on y
mettait quelquefois pendant un jour ou deux les prisonniers auxquels on voulait
infliger une punition particulière, et qu’il avait été souvent tenté de la
faire détruire comme un monument de barbarie. Alors, nous témoignâmes le désir
qu’elle fût détruite à l’occasion de notre passage, et le prieur y consentit de
très bonne grâce, à la grande joie des prisonniers qui nous suivaient. Le
Suisse seul paraissait regretter la cage, et son regret était naturel, car il
gagnait de l’argent à la montrer. Mais un bon pourboire, et l’assurance qu’il
gagnerait autant à montrer le cachot où elle avait été, le consolèrent
promptement. Elle ne fut pas détruite en notre présence, comme on l’a dit dans
le temps, car cette opération n’aurait pas pu se faire dans une journée, et on
se borna à en ôter la porte. » [43]
Cela dit, les prisonniers du Mont étaient loin d’être tous enfermés
dans la fillette . Il ne faut d’ailleurs pas
exagérer le nombre de ces prisonniers : entre 1685 et 1789, c’est-à-dire
en un siècle, il n’y en a eu que cent quarante-sept en vertu d’une lettre de
cachet. Trente-trois d’entre eux avaient été incarcérés par ordre direct du roi
pour des motifs politiques, des complots, des outrages ou des concussions ;
quatre-vingt-quatorze y avaient été enfermés à la requête des familles pour
inconduite notoire, meurtres, vols ou démence ; vingt avaient été des religieux,
à la demande de leurs supérieurs, pour des manquements graves à la discipline, ou
pour délits d’opinion, en particulier des Jansénistes. Ces prisonniers se
trouvaient dans ce qu’on appelait les Exils , qui
comprenaient une trentaine de pièces assez étroites. D’après l’inventaire de
1793, il n’existait à cette époque, pourtant riche en prisons de toutes sortes,
que quarante chambres fortes dans l’abbaye. Et nous savons qu’en juillet 1789, le
Mont ne comptait en tout et pour tout que trois civils et quatre religieux, cela
en vertu de lettres de cachet, pour inconduite ou démence. C’est dire que l’abbaye
du Mont-Saint-Michel n’a jamais été cette monstrueuse prison que certains
auteurs ont décrite avec un luxe de détails étonnants et qui aurait contenu six
cent mille prisonniers au cours des siècles ! Même après la Révolution, sous
la Restauration et la Seconde République, le nombre des prisonniers, bien que
plus important parce qu’on avait
Weitere Kostenlose Bücher