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Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Titel: Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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gagner évident. Or, Guillaume Ridel n’avait jamais
été dédommagé. Il avait intenté procès sur procès, manifestant une telle hargne
que les autorités le tenaient pour fort suspect. L’affaire de la rivalité entre
les familles Ridel et Oury ne faisait que renforcer cette suspicion. Et, en
1765, le malheureux propriétaire de la Licorne fut arrêté en vertu d’une lettre
de cachet et expédié, de brigade en brigade, à Vincennes où il fut enfermé « parce
qu’il avait porté le trouble au Mont-Saint-Michel et qu’il y entretenait des
intelligences avec des prisonniers d’État. » [41]
    Guillaume Ridel protesta vigoureusement, ce qui déclencha
une contre-enquête, confiée au subdélégué de Coutances. Finalement, le rapport
fut favorable à l’aubergiste, reconnu seulement coupable d’avoir « eu la
langue trop bien pendue » et d’avoir été « imprudent dans certaines
conversations ». On reconnaissait qu’il s’était surtout montré très résolu
à ne pas se laisser impressionner par les moines. Dans ces conditions, il n’était
plus nécessaire de le maintenir à Vincennes, « d’autant plus que sa
pension était payée par Sa Majesté ». Guillaume Ridel fut libéré et revint
prendre la direction de sa chère Licorne . Mais
il abandonna tout procès contre les moines et ne fut jamais dédommagé de ses
pertes, tout heureux de s’en tirer ainsi à bon compte.
    Cette histoire rigoureusement authentique est un exemple
parmi bien d’autres des affaires sordides qui ont surgi à l’ombre de la statue
de l’Archange. Cela montre assez bien le contraste permanent entre la vocation
mystique inscrite dans les constructions de l’abbaye et les intérêts humains en
jeu pour exploiter, d’une façon ou d’une autre, une ferveur religieuse incontestable.
Plus que jamais le Diable rôde dans tous les endroits où se trouvent des saints,
et c’est à croire que la sainteté est inséparable des marécages de l’Enfer. La
lumière qui brille, paraît-il, dans l’église abbatiale, pendant la nuit, ne
parvient pas à éclairer suffisamment les zones ombreuses et tortueuses de la
malignité humaine.
    Bien entendu, dans la foule bigarrée des pèlerins qui affluaient
au Mont, il y avait de tout, le meilleur et le pire, des faux dévots évidemment,
coupeurs de bourses et vide-goussets, faux éclopés, faux aveugles et vrais
escrocs. Les autorités le savaient fort bien, et tous ces gens-là étaient sous
surveillance. Ainsi les Bohémiens étaient-ils tenus de faire des déclarations
de changement de domicile : on se doute que ce genre de règlements
provoquait une tendance au racisme et que tous les gens de la Petite Égypte , comme on disait, étaient soupçonnés
de méfaits imaginaires. Il y avait aussi les fameux goglus ,
c’est-à-dire les « pisteurs », ceux qui prenaient soi-disant en
charge les pèlerins et les emmenaient loger là où ils touchaient un pourcentage,
avec évidemment la complicité des bons bourgeois du Mont. Ce procédé du gogluage devait être particulièrement répandu, car
il était considéré comme un délit religieux et, pour en être absous, il fallait
passer par le tribunal de la Pénitence. Mais, après tout, ce sont choses
courantes dans un monde où le Sacré et le Profane font route commune.
    De toute façon, il faut bien vivre. Et si l’on admet que
saint Michel est l’image christianisée du dieu Lug-Mercure des Gaulois, il a
peut-être quelque chose à voir avec le Mercure des Latins qui est, comme chacun
sait, le dieu du Commerce (à tous les sens du terme, y compris la communication)
et aussi des voleurs. Les documents sur le Mont-Saint-Michel sont assez précis
en ce qui concerne les « marchands du Temple ». Les hôteliers et les
cabaretiers étaient soumis à la vérification des poids et mesures, mais ils ne
semblaient pas tous très délicats. Ainsi, en 1494, en vertu des pouvoirs qui
lui étaient conférés par le roi de France, l’abbé du Mont fit condamner
plusieurs débitants pour contraventions aux mesures de vin et de cidre. On sait
aussi que, le 22 mai 1637, le R. P. Bernard Jevardac, archidiacre de
l’abbaye, se présenta inopinément chez les marchands de liquides établis dans
la ville. D’après la chronique, « il fit la visite des mesures des pots et
pintes en usage dans les cabarets et hôtelleries du Mont, vendant et débitant
vin et cidre, où ayant trouvé plusieurs vaisseaux trop petits, il les a

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