Le mouton noir
sa fille et je dois admettre que ma sÅur Marie se montra elle aussi fort aimable, tellement elle était heureuse de notre présence.
Notre fille Françoise fut, elle aussi, enchantée de nous retrouver lors de notre arrivée à Montréal.
â La guerre nous a chassés de Québec, dit Justine. Nous en avons profité pour venir voir comment tu tâen tirais avec ton marchand de mari.
â On ne peut mieux, mère. Les coureurs des bois ont toujours besoin de marchandises à échanger contre des peaux.
â La vie risque cependant de devenir plus difficile, dis-je. Avec les Anglais qui sont à nos portes, il deviendra bien compliqué de faire venir des marchandises de France.
â Nous passerons par la Nouvelle-Angleterre.
â Câest plus facile à dire quâà faireâ¦
â Mais père, René a plus dâun tour dans son sac. Il fait déjà produire ici beaucoup de petits objets quâaiment les Sauvages. Il dit que lâavenir réside dans tout ce que nous pouvons fabriquer nous-mêmes.
â Son raisonnement est bon. Peut-être pourrai-je conseiller ton mari, moi qui ai quelques expériences dans la vente de marchandises.
â René sera enchanté de vous entendre. Il est ouvert à toutes les suggestions.
Justine brûlait de poser une question. Elle profita dâune pause dans la conversation pour demander:
â Aurais-tu des nouvelles de ta sÅur Isabelle?
â Nous avons tenté dâen apprendre à son sujet par les coureurs des bois, mais personne ne semble la connaître, non plus que son mari.
â Les coureurs des bois avec lesquels ton mari fait affaire se rendent sans doute du côté de Michillimakinac? lui demandai-je.
â Oui, câest bien là quâils vont à lâautomne ou au printemps.
â Ce qui me laisse croire quâIsabelle et son homme doivent se trouver du côté de la Louisiane. Et Alexandre, que devient-il?
â Il se porte bien et est très apprécié comme chirurgien à lâhôpital. Il a été appelé à soigner plusieurs blessés de guerre. Il a tellement de travail que nous nâavons eu le bonheur de le voir que deux fois depuis notre établissement à Montréal. Votre venue sera lâoccasion toute rêvée de le sortir de son hôpitalâ¦
Quelques jours plus tard, ce fut la fête chez les de Lamirande. Il y avait des années quâAlexandre et Françoise nâavaient pas été réunis avec nous. Ils eurent beaucoup de plaisir à évoquer le passé. Toutefois, lâavenir mâinquiétait.
â Si les Anglais sâemparent du pays comme ils lâont fait de Québec, il y a lieu de se demander ce que nous deviendrons.
â Nous sommes trop nombreux pour quâils nous exilent, soutint mon gendre. Ils devront sâaccommoder de notre présence.
â Pourvu quâils nous laissent gagner notre vie.
â Je ne mâen fais pas avec ça. Ils auront besoin de marchands comme nous pour continuer la traite avec les Sauvages.
â Mais tu dois tâattendre à ce quâils en fassent venir dâAngleterre. La concurrence sera féroce.
â Nous verrons, dans le temps comme dans le temps. Mais pour lors, le pays ne leur appartient pas encore.
â Le chevalier de Lévis et ses soldats assiègent Québec en attendant des renforts de France. Espérons que le roi de France ne nous a pas oubliés.
Malheureusement, quelques jours plus tard, une nouvelle fit le tour de Montréal: plusieurs navires anglais avaient jeté lâancre devant Québec et le chevalier de Lévis avait dû lever le siège. La France nous avait abandonnés.
Quatrième partie
LE PROCÃS
(1760-1774)
Chapitre 54
Montréal et Verchères
Comme nous nâavions pas de toit à Montréal, mon gendre et notre fille nous offrirent généreusement de partager le leur. Jâacceptai, mais pour un temps seulement. Lâappartement où ils vivaient nâétait pas assez grand pour accueillir longtemps quatre adultes. Je savais que nous finirions par nous marcher sur les pieds et quâau bout de quelques semaines, la belle harmonie du début finirait par sâétioler et se transformer en ressentiments retenus. Je dis à mon
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