Le mouton noir
quâil montra à Clément et avec lequel il avait reproduit la signature du gouverneur.
â Deux autres moules semblables, dit-il. Un pour la signature de lâintendant et lâautre pour celle du procureur, et le tour est joué.
Clément examina le moule, se faisant une idée de la dimension des signatures recherchées. Lâhomme expliqua:
â Il faut que mes cartes soient aussi bien réussies que les vraies.
â De quelle valeur seront celles que vous vous proposez de fabriquer?
â Des entières et des demi-cartes. Ce sont celles de plus grande valeur et donc qui rapportent le plus. Raison de plus pour quâelles soient parfaitement imitées.
â Tout cela est illégal. Si vous êtes pris, vous risquez lâéchafaud.
â Encore faudrait-il que quelquâun dâavisé se rende compte quâil sâagit de fausse monnaie. Mais un ouvrage bien fait ne risque pas dâêtre découvert.
Clément se prit la tête entre les mains en se disant: «Que mâarrive-t-il, me voilà en présence dâun fraudeur et je suis prêt à lui rendre service?»
Le lendemain matin, malgré ses réticences, et parce que depuis son congédiement, il rêvait de se venger du nouveau secrétaire, il retourna au palais. En le voyant paraître, le secrétaire lâapostropha:
â Que fais-tu ici?
â Je viens recouvrer un objet qui mâest précieux et que jâai oublié.
â Quoi donc?
â Un encrier.
â Où çà ?
â Dans lâarmoire où je le rangeais.
Le secrétaire le regarda, lâair soupçonneux. Clément pensa tout de suite quâil irait lui chercher lâencrier, mais sans plus se préoccuper de lui, il le laissa fouiller dans lâarmoire où il avait lâhabitude de ranger plumes, encre et papier. Clément vit tout de suite que ce quâil espérait trouver y était toujours. Son remplaçant auprès du secrétaire le regardait avec suspicion. Il lui dit dâun ton qui ne souffrait pas de réplique:
â à ce que je vois, les fouines ne sont pas toutes dans les champs.
Lâautre se pencha subitement sur son travail qui semblait tout à coup lâabsorber entièrement. Mine de rien, tout en jetant un coup dâÅil au commis, Clément fouilla rapidement dans lâarmoire et mit la main sur des documents quâil y avait rangés et qui attendaient dâêtre copiés. Il savait quâil y trouverait les signatures requises et de la taille désirée. Dâun geste vif, il les fit disparaître dans son pourpoint. Il se retira ensuite avec en main, bien en évidence, un vieil encrier. Au secrétaire qui lui demandait pourquoi il y tenait tant, Clément répondit:
â Parce que ce fut mon premier encrier et quâil mâa porté chance. Je mâen serais voulu de ne point le rapporter.
Le secrétaire haussa les épaules en se bornant à dire:
â Chacun ses marottes!
Clément sortit du palais en pensant: «Câétait trop facile!» Il se demandait si tout cela ne finirait pas par lui retomber sur le nez. Il sâapaisa en disant: «Qui ne risque rien nâa rien!» Sans plus tarder, en prenant tout de même des précautions afin de ne pas être reconnu, il alla retrouver le faussaire dans son repaire. Son larcin fut acclamé avec lâenthousiasme mérité. Le faussaire sâempara des documents et les examina en vitesse. Il lança tout à coup un «hourra!» retentissant.
â Regarde, dit-il à Clément. Celle-là est parfaite et celle-ci également. Je pourrai les reproduire à la perfection. Ãa te vaudra deux cents livres, soit cent par signature.
Clément tendit la main. Lâautre le considéra, lâair étonné.
â Pour lors, je nâai pas cette somme, mais tu la toucheras sur le fruit rapporté par ces fausses cartes. Ãa ne saurait guère tarder puisque je peux maintenant effectuer mon travail de façon parfaite.
â Dans combien de temps puis-je espérer recevoir mon dû?
â Dâici quelques jours.
Clément attendit patiemment. Il se rendait tous les deux jours chez le faussaire, mais les fausses cartes nâétaient pas encore imprimées.
â Je ne prends pas de risques,
Weitere Kostenlose Bücher