Le mouton noir
lui dit un jour lâhomme. Je ne les imprimerai et ne les ferai circuler que lorsque celles de lâintendant seront émises. Sois patient, câest pour bientôt.
Voyant que Clément insistait pour être payé, lâhomme lui fit une offre:
â Demain, jâaurai les fausses cartes en main. Si tu veux, je tâen donne quatre de cent livres. Tu seras de la sorte doublement payé.
â Ce ne sont pas des fausses que je veux, lui dit Clément, ce sont des vraies!
â Mais je ne tâai jamais dit que je te payerais avec des vraiesâ¦
Les nouvelles cartes émises par le gouverneur apparurent sur le marché sans que Clément ait touché les deux cents livres promises. Il ne savait trop que faire. Lâhomme lui dit:
â Jâirai te porter moi-même lâargent que je te dois.
â Quand?
â Bientôt.
Clément prit son mal en patience et il fit bien, car deux semaines plus tard, il apprit que le faussaire avait été arrêté. Il pensa fuir avant dâêtre écroué à son tour et se prépara en conséquence, rangeant ses hardes et quelques autres effets au fond dâune barque louée avec lâintention de sâen servir en cas dâurgence. Comme le procès avait lieu le même jour, il attendit de voir comment le faux-monnayeur sâen tirerait.
Il alla traîner dans un cabaret où il avait lâhabitude de se rendre, lâoreille tendue à tout ce qui se disait. Il apprit ainsi, par la bouche de quelques hommes réunis autour dâun verre, que le faussaire, interrogé sur la manière dont il avait obtenu les signatures de lâintendant et du procureur, avait tout simplement répondu:
â Leurs signatures, nous les trouvons partout. Il est si facile de mettre la main sur une copie dâordonnance. On en affiche aux portes des églises et des moulins.
Les hommes sâindignèrent du fait que le juge nâavait pas condamné cet homme à mort, mais seulement à lâexil. Soulagé, Clément poussa un long soupir. Il venait vraiment de lâéchapper belle, mais il avait inutilement pris ce risque, car il nâavait pas touché un sou.
Chapitre 6
Une nouvelle association
Par la lettre expédiée à Verchères, il espérait apaiser ses parents, mais il se trouvait de nouveau au même point, ses faibles économies fondant à vue dâÅil, et il voyait venir rapidement le moment où il nâaurait plus un sou vaillant. Un jour, par un heureux hasard, un voyageur désireux dâêtre conduit à la Côte-de-Beaupré sâadressa au charretier qui logeait à la même pension que Clément. Au souper, lâhomme déclara:
â Jâai, dans deux jours, à mener un voyageur à la Côte-de-Beaupré. Pour mon malheur, je viens dâapprendre que je ne pourrai pas le faire. Je suis convoqué en justice ce jour-là .
Sa réflexion ne tomba pas dans lâoreille dâun sourd. Clément sâoffrit spontanément à le remplacer:
â Conduire un cheval nâa rien de sorcier! sâexclama-t-il. Je pourrais vous accommoder si ça vous va.
â Tu saurais le faire?
â Certainement! sâexclama Clément, même sâil nâavait jamais tenu les cordeaux puisque cette tâche incombait à Jimmio. Je lâai fait maintes fois au manoir de mon père.
â à la bonne heure! Tu me tires une épine du pied.
Deux jours plus tard, il accueillait près de lui, sur le banc de la charrette quâil sâapprêtait à conduire, un homme de forte corpulence qui avait le verbe haut et le rire facile. à voir la façon dont son voyageur était vêtu, Clément conclut quâil sâagissait certainement dâun marchand passablement fortuné. Quand ils furent bien en place, Clément commanda au cheval dâavancer. Lâanimal docile se mit en marche et Clément nâeut dès lors plus quâà se fier à lâinstinct de la bête habituée à faire le trajet jusquâà Château-Richer et à se laisser conduire. Son passager était de fort belle humeur. Cependant, une chose semblait le préoccuper et tout au long du trajet, il nâaborda pas dâautres sujets que celui des moyens à prendre pour devenir riche. Dâailleurs, Clément
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