Le mouton noir
Mais tu tâarranges pour les contenter en leur remettant tout de même un petit profit. Habituellement, ça leur suffit.
â Quelles raisons peut-on évoquer pour justifier des profits moindres?
â Les fluctuations du marché, la trop grande abondance de marchandises, des détériorations durant le transport, etc. Tu inventes au besoin.
â Mais ce nâest guère loyalâ¦
â Pas loyal, peut-être, mais drôlement efficace. Ton premier magot, tu lâas. Tu tâen sers désormais uniquement à ton profit. Tu en retires tous les bénéfices des marchandises vendues. Ce qui tâa coûté une livre tâen rapporte trois ou quatre et ainsi de suite.
Clément écoutait avec tellement dâattention et dâintérêt que le marchand sâen avisa. Au même moment, le cheval fit un brusque écart alors quâun renard traversait la route presque dans ses jambes. Clément dut vivement réagir pour lâempêcher de sâénerver, ce qui déclencha les rires de son passager.
â Dis donc, mon jeune ami! La Providence vient de tâenvoyer un message. Dans la vie, ne faut-il pas être aussi rusé quâun renard? Mes propos semblent te distraire et tâintéresser particulièrement⦠Je tevois autrement que charretier. Sais-tu lire, écrire et compter?
â Comment un fils de notaire ne le saurait-il pas?
Le marchand sâexclama:
â Tu es le fils dâun notaire! Mais alors tu as toutes les connaissances nécessaires pour faire fortune!
En lissant sa moustache, il regarda Clément dâun air mystérieux, un sourire au coin des lèvres. Son expression était celle dâun homme qui mijotait quelque chose.
â Je me cherche un adjoint. Que dirais-tu de travailler pour moi?
â Jâignore jusquâà votre nom.
Il tendit la main à Clément, lâinterrogeant du regard.
â René Bréard, négociant en tout.
â En quoi consisterait mon travail?
â Tu mâas bien dit que tu sais écrire, lire et compter? Je te confierais la tenue de nos livres.
Sans plus hésiter, Clément lui tendit la main.
â Clément Perré, votre nouvel associé.
Lâautre lâexamina comme sâil avait mal entendu.
â Vraiment? Tu serais prêt à travailler pour moi?
â Pour moi aussi, répondit Clément, dâun air malicieux, mais avec vous. Nâest-ce pas en quoi consiste une association?
Le marchand lui donna un coup de coude dans les côtes.
â Voilà qui fait plaisir à entendre! Nous formerons une bonne équipe.
Ils entrèrent dans la première auberge de la Côte-de-Beaupré pour lever leur verre à la réussite de leur association. Bréard, comme se plaisait déjà à lâappeler Clément, paya la tournée. Puis il expliqua à Clément que, déjà , leur association allait commencer à porter fruit:
â Nous allons nous arrêter en route afin de prendre chez les habitants des commandes de guildive des Antilles. Tu prendras tout en note.
Ce fut ce quâils firent et Clément ne manqua pas dâadmirer le marchand pour la façon quâil avait de soutirer à lâavance aux gens la moitié de ce que leur coûterait ce rhum avant même quâils en aient vu la couleur.
â Je vous garantis la meilleure guildive quâon puisse trouver sur toutes les mers que jâai sillonnées, et Dieu sait que jâai vu du pays! Au printemps, je vous rapporte vos pintes. Vous vous louerez de pouvoir goûter pareil élixir. Il guérit tout: les maux de gorge, les flux de poitrine, les maux de cÅur, les indigestions, les rhumes et il vous réchauffe le cÅur au beau milieu des plus grands froids de lâhiver. Vous avancez quatre livres en acompte et vous pouvez vous réjouir à lâavance de ce que vous allez recevoir. Vous mâen donnerez des nouvelles et je parie que lâan prochain vous courrez après moi et que vous doublerez vos commandes.
Clément inscrivait celles-ci au fur et à mesure dans un livre de comptes.
â Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, mon adjoint porte dans notre registre vos noms, vos acomptes et toutes vos commandes au chiffre près. Nous en laissons une copie entre les mains du
Weitere Kostenlose Bücher