Le mouton noir
Devrai-je être contraint dâattendre ma vingt-cinquième année avant de me marier, après vous avoir fait parvenir à trois reprises des sommations respectueuses? Je ne voudrais pas être obligé dâagir de la sorte, cela me briserait le cÅur. Toutefois, si votre attitude à mon égard perdure, je serai sans doute contraint de le faire, car je crains fortement que cela nâéloigne de moi lâélue de mon cÅur et ne me conduise à la perdre. Je me suis engagé envers elle et je ne veux point renier ma parole, obligé que je suis de tenir mes promesses. Aussi, je vous supplie de nouveau de mâaccorder votre autorisation de lâépouser dans les plus brefs délais. Mon honneur, comme le sien, est en jeu.
Je ne voudrais pas, par ma désobéissance à votre égard, exacerber davantage le mépris que vous semblez désormais me porter, et vous me voyez profondément accablé de ne plus sentir de votre part cette tendresse qui mâa toujours valu de vous considérer comme le meilleur des pères. Je suis certain que notre si bonne mère vous saurait gré de montrer une fois de plus votre grandeur dââme en me pardonnant.
Dans lâobligation que je suis dâhonorer ma parole, je vous supplie donc, une fois de plus, très cher père, comme le plus respectueux des enfants, de mâaccorder la grâce que je vous demande.
Votre fils soumis, Clément Perré
Ils attendirent avec anxiété, pendant plusieurs jours, la réponse de Marcellin. Mais voyant quâelle ne venait pas, et nâayant plus le choix, ils décidèrent de passer outre et de se marier. Ils se présentèrent chez le notaire Duhamel pour le contrat de mariage. Quelques jours plus tard, ils faisaient bénir leur mariage à lâéglise Notre-Dame par le curé de la paroisse.
Ne pouvant pas compter sur la présence de son père, Clément demanda à Jean-Baptiste, le serviteur de Bégon, dont il sâétait fait un ami, de lui servir de témoin. Heureux de lui rendre ce service, Jean-Baptiste, à lâinsu de lâintendant et de son secrétaire, et de connivence avec la cuisinière et les autres serviteurs, organisa un repas de noces dans les appartements mêmes du palais. Justine en fut enchantée. Mais tout faillit tourner au vinaigre quand le secrétaire de lâintendant surgit au milieu du repas. Son arrivée eut le même effet quâune gifle en plein visage. Tout le monde se tut. Il demanda dâune voix sombre:
â Que se passe-t-il ici?
Clément répondit:
â Un repas de noces.
â Avec lâautorisation de qui?
â Sans autorisation. Si nous lâavions demandée, nous ne lâaurions pas eue.
Sa réponse fit hésiter le secrétaire.
â Qui vous dit que vous ne lâauriez pas eue?
â Tout nous le dit.
â Vous allez remettre tout en place. Pour ce qui est des suites, jâaviserai. à propos, de qui célébrez-vous les noces?
â Les miennes, avoua Clément.
â Avec?
â Mon épouse que voici.
Justine se leva et esquissa une révérence. Le secrétaire tourna le dos et disparut. Câétait la consternation. Clément sâenquit:
â Nâavait-il pas un souper chez le gouverneur?
â Il en avait un. Sans doute est-il revenu chercher un document.
â Bah! dit-il. Au diable ses menaces! Terminons au moins ce que nous avons commencé.
Ils finirent le repas en vitesse, assurés de subir de lourdes représailles. Pourtant, au lendemain de cette soirée mémorable, seul Clément eut à répondre de lâincartade de la veille. Le secrétaire lui dit:
â Monsieur Perré, je ne veux point vous revoir au palais avant trois semaines.
Clément ne broncha pas et, sans un mot, quitta les lieux. Le voyant arriver à leur logis, Justine lui demanda:
â Tâa-t-on congédié?
â Non pas!
â Pourquoi es-tu ici, alors?
â Il mâa donné trois semaines de congé. Ãa mâévitera de faire le voyage à Montréal en leur compagnie.
â Comment comptes-tu occuper ton temps?
â à quelque chose que je désire depuis bien longtemps. Nous sommes en plein dans le bon temps de lâannée. Je vais aller à la pêche.
â à la
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