Le mouton noir
lâÃglise. Ils parlaient déjà de ce que serait leur vie après leur mariage.
â Dans quelques mois, dit Clément, je nâaurai pas besoin de lâautorisation paternelle pour la bénédiction nuptiale.
Justine le taquinait:
â Le petit fils à papa!
Clément se contentait de sourire.
â Dis plutôt le mouton noir de la famille. Jâavoue avoir coupé trop radicalement les ponts avec les miens. Mais quâimporteâ¦
Durant tout ce temps, découvrir la vérité au sujet des malversations de lâintendant demeura la principale préoccupation de Clément. Dans les jours et les semaines qui suivirent, il se montra davantage attentif au contenu de tous les documents quâon lui donnait à copier. Cependant, rien qui lui semblait compromettant ne lui passa sous la main.
â Je ne me suis jamais réellement intéressé aux chiffres, confia-t-il à Justine.
Elle se moqua et, dâun air espiègle, lui lança:
â Nâest-ce pas normal? Tu es un homme de lettres!
Sa réflexion lâenchanta, comme le ravissaient dâailleurs sa vivacité dâesprit et ses propos toujours à point.
â Tu seras sans doute étonnée dâapprendre que jâai tenu un temps un livre de comptes. Câest dans de tels livres que se trouvent la vérité, tout comme le mensonge. Mais, hélas, je nâai pas accès à ceux qui mâintéressent.
â Ne me dis pas que les présumées malversations de lâintendant te trottent encore dans la tête?
â Je ne suis pas un lâcheur. Jâaime aller au bout de ce qui me préoccupe.
â Ne va surtout pas te mettre les pieds dans les platsâ¦
â Ne crains rien! Les livres de comptes tenus par le magasinier mâintéressent. Je saurai bien trouver le moyen dây mettre le nezâ¦
Pendant des jours, il réfléchit à la façon dây avoir accès. Il ne trouva rien de mieux que de se cacher dans le magasin quelques minutes avant le couvre-feu et de profiter de la nuit pour jeter un coup dâÅil aux registres. Câétait, parvint-il à se convaincre, la manière la plus simple de mettre la main dessus.
Le soir tombait quand il se présenta au magasin sous prétexte dây acheter du tabac. Pendant que le commis allait lui en chercher, il lui cria: «Je reviendrai demain!» Mais au lieu de sortir du magasin, il se faufila dans une allée. Apercevant une cachette entre des ballots de castor, il se terra à cet endroit jusquâau départ du dernier commis. Une fois seul dans le magasin, à tâtons, il se dirigea vers le bureau du magasinier. La lueur de la lune pénétrant par une fenêtre lui permit de se faire une idée des lieux. Il finit par découvrir sur une étagère le registre quâil cherchait, mais dans la pénombre, il ne parvenait pas à le lire et dut se résoudre à passer la nuit éveillé en attendant le lever du jour.
Sachant que les commis arrivaient très tôt au magasin, il ne perdit pas une minute pour feuilleter le registre dès que le jour le lui permit. Sâil ne trouva pas ce quâil cherchait, son attention fut néanmoins attirée par une importante colonne de chiffres, faite dâachats et de ventes de bÅufs et de cochons. Pourquoi tous ces bÅufs et tous ces cochons étaient-ils achetés par le magasinier du roi? Il grava dans son esprit les prix dâachat et de vente. Il en était là quand un bruit lui signala lâarrivée dâun des commis. Il retourna en vitesse dans le magasin, retrouvant entre les ballots de castor sa cachette de la veille au soir. Nâayant pas fermé lâÅil de la nuit, il se mit à bâiller et dut lutter contre le sommeil jusquâà lâarrivée dâun premier client. Il prit soudain conscience que si on le prenait dans le magasin, il serait accusé de tentative de vol.
Quand il se rendit compte quâil y avait davantage de va-et-vient, il se faufila vers la sortie. Avant dây parvenir, il croisa un des commis à qui il dit:
â Jâétais venu hier pour du tabac. Celui qui mâavait commandé dâen venir chercher a changé dâidée.
â Que faisiez-vous dans cette allée?
â Jâétais en quête de celui à qui je
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