Le mouton noir

pêche?
    â€” Au loup-marin. Je veux savoir comment ça peut rapporter, au cas où, à mon retour, on me donnerait un congé définitif.
    Justine se tut et Clément comprit, à son air, qu’elle était fort contrariée.
    â€” Qu’y a-t-il, ma mie?
    â€” Nous sommes à peine mariés et voilà que tu parles de me quitter pour trois semaines. Il me semble revenir au temps de mon premier époux, pour qui tous les prétextes étaient bons pour m’abandonner.
    Clément se fit rassurant:
    â€” Ce n’est pas du tout la même chose! Je n’ai pas le choix. Ou je reste ici à tourner en rond, ou bien je tente de trouver de quoi nous permettre de vivre, au cas où… Ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir? Ce qui m’arrive n’était pas dans mes plans. De toute façon, tu le sais, je t’aurais quittée quand même pour trois semaines, car je m’apprêtais à faire le voyage à Montréal en compagnie de l’intendant et du secrétaire.
    â€” Souhaitons que le secrétaire ne prenne pas prétexte de ton absence pour te remplacer par quelqu’un de ses amis.
    â€” Nous avons joué avec le feu et nous nous y sommes brûlés. Cette idée d’un repas de noces au palais, si elle était merveilleuse, s’avérait également périlleuse. Mais ce qui est fait est fait. C’est pure perte de tenter de refaire le passé.
    â€” Il est vrai que nous avons manqué de prudence en cette affaire. Mais ce fut merveilleux quand même. Je revois encore le secrétaire et nous tous, à sa vue, silencieux comme une bande de nonnes.
    â€” Sans sa visite impromptue, rien ne serait arrivé et nous aurions été portés à tout oublier. En réalité, la venue du secrétaire a rendu nos noces inoubliables.
    â€” En effet!
    Justine s’approcha de Clément et l’embrassa tendrement.
    â€” Ainsi, tu me quittes…
    â€” Il le faut. Ma crainte de perdre mon travail m’y pousse. Si tu le permets, je m’en vais de ce pas m’enquérir au port s’il n’y a pas une barque en partance pour la Côte-Nord.
    â€” Va! Mais tu auras à peine le temps de te rendre là-bas qu’il te faudra revenir.
    â€” C’est juste, mais j’aurai vu et ça pourra m’être utile à l’avenir. Et quel bonheur sera le mien de te retrouver à mon retour!
    Justine l’embrassa de nouveau et cessa de discuter. La démarche de Clément démontrait tout de même qu’il avait à cœur leur avenir en cherchant une façon de les faire vivre si jamais il perdait son emploi.
    Deux jours plus tard, après avoir fait la connaissance du sieur Lafontaine de Belcour, qui détenait une pêche au loup-marin du côté de Montagamiou, il partait pour la Côte-Nord.

Chapitre 17
La pêche au loup-marin
    Une journée à peine avant de retourner au palais, Clément revint d’expédition, enchanté de ce qu’il avait vécu. À Justine qui lui demandait comment s’était passé son voyage, il expliqua:
    â€” Si jamais le secrétaire ne veut plus de mes services, je tenterai de me procurer une barque et tout ce qu’il faut pour la pêche au loup-marin, mais aussi pour toutes sortes d’autres pêches et transports.
    â€” Cela rapporte-t-il gros?
    â€” Il n’y aurait pas moyen de s’enrichir en ne s’adonnant qu’à cette pêche, parce qu’elle ne dure pas assez longtemps. Si nous comptions gagner notre vie ainsi, il faudrait y joindre d’autres sortes de pêches.
    Justine parut soulagée de l’entendre. Si jamais il décidait de s’adonner à cette pêche, elle ne le perdrait pas pour des mois. Curieuse d’en apprendre davantage, elle demanda:
    â€” Comment se fait la pêche au loup-marin?
    â€” Au filet.
    â€” Ils sont attrapés au filet, comme des poissons?
    â€” De la même manière, mais avec des filets plus solides et ancrés au fond de l’eau. La pêche commence à ce temps-ci, à la mi-décembre, et dure à peine un mois. Il faut être au bon endroit au bon moment. Les loups-marins longent la côte pour se nourrir. Ils vont se jeter dans les filets qui sont tendus en eau profonde, perpendiculairement à la rive, et retenus