Le mouton noir
à leurs extrémités par des ancres de bois. Les hommes de là -bas appellent ça des picasses.
â Comment peuvent-ils se prendre dans ces filets?
â Quand ils paraissent là où il y a des filets tendus, les pêcheurs les suivent en barque. Les bêtes se jettent directement dans ces pièges. Sâils veulent revenir en arrière, dâautres filets les en empêchent. Ils tournent en rond et se prennent dans les mailles en voulant passer à travers lâobstacle. Les hommes lèvent ensuite les rets par les coins et sâemparent des bêtes qui sây sont empêtrées.
â Voilà une bien curieuse façon de pêcher.
â Mais elle est efficace! Les bêtes sont ramenées à terre, une vingtaine à la fois dans chaque barque, et déchargées sur des traîneaux que des chiens tirent jusquâà un entrepôt où on les dépèce sans plus tarder. On garde le plus de graisse possible avec la peau. Les chiens se nourrissent des restes. On conserve aussi la viande des plus jeunes bêtes pour sâen nourrir.
â En as-tu mangé?
â Jây ai goûté. Câest une viande fort tendre.
â Combien se vend une peau de loup-marin?
â Une bonne bête, facilement quatre à cinq livres tournois pour la peau et quelque chose comme trente sols pour lâhuile quâon en tire. Mais voilà , en toute bonne chose, il y a des obstacles, et le principal pour cette pêche est quâil faut obtenir une concession le long de la côte, et les meilleures sont déjà prises. En plus, il faut investir beaucoup pour les barques, les pêcheurs et les autres engagés ainsi que pour les entrepôts nécessaires au dépeçage et au remisage des peaux.
â Te voilà donc fixé sur tes possibilités de créer un tel commerce.
â Si jamais je voulais gagner des sous par la pêche au loup-marin, il me faudrait dès le départ posséder une petite fortune. Je ne crois pas, ma mie, que câest ainsi que nous nous enrichirons, mais au moins maintenant je le sais.
â Tu en as le cÅur net et je mâen réjouis, car je ne te perdrai pas pour des mois entiers.
Maintenant quâil avait fait part à sa femme des péripéties de son voyage, Clément sembla tout à coup se souvenir quâil était parti depuis trois semaines et que la vie avait continué à Québec.
â Pardonne-moi, ma mie, de ne mâêtre préoccupé que de cette expédition. Jâaurais dû mâenquérir dâabord de ta santé.
â Tu nâas pas à tâinquiéter, pour moi, tout va bien.
â Est-ce à dire que pour dâautres, ce nâest pas le cas?
â Je nâai pas voulu refroidir ton enthousiasme. Voilà pourquoi jâai retenu en moi les mauvaises nouvelles qui te concernent. Si de ton côté, tout semble avoir bien été, ce que tu vas apprendre concernant ta famille est fort triste.
â Quoi donc?
â Lis dâabord ceci.
Il sâagissait dâune lettre expédiée de Verchères, le lendemain de son départ.
â Comment, dit-il, peux-tu parler de mauvaises nouvelles alors que cette lettre nâa pas été décachetée?
â Lis dâabord! Je te dirai ensuite.
Clément se mit à lire et plus il avançait dans sa lecture, plus son visage sâassombrissait. Il sâarrêta, jeta un coup dâÅil vers Justine, puis continua à lire. Ses mains se mirent à trembler, son visage à pâlir. Il laissa bientôt tomber la lettre et se prit la tête entre les mains. Justine sâapprocha et lui enserra les épaules. Clément versa quelques larmes puis, relevant la tête, il dit:
â La vie est une calamité. Pourquoi Dieu permet-il pareil malheur?
Il se retira dans la chambre et nâen ressortit que le lendemain pour se rendre au palais. Justine ne le revit que le soir. Lâintendant nâavait pas ajouté à tous ses malheurs puisque le secrétaire avait du travail pour lui pendant les semaines à venir.
Alors quâil sâattablait pour le souper, le souvenir lui revint que la veille, Justine semblait déjà informée des malheurs qui lâaccablaient, et il lui demanda:
â Tu savais pour ma mère, pour ma sÅur et ses
Weitere Kostenlose Bücher