Le mouton noir
comptes-tu faire en hiver?
â Des travaux dâécriture. Je saurai bien en dénicher quelque part auprès dâun marchand ou lâautre.
â Je pourrais, dit Marcellin, tâen donner quelques-uns à faire.
Ainsi se dessina peu à peu lâavenir de Clément, à la satisfaction de Justine qui, selon cet arrangement, pouvait continuer à vivre comme elle lâentendait tout en ne privant pas complètement ses enfants de la présence de leur père. Six mois après son arrivée au manoir, elle donna naissance à une fille prénommée Marie-Louise.
Justine était bien vite devenue la grande amie de Marie. Les deux femmes avaient plaisir à causer et le nom de Clément revenait souvent dans leur conversation.
â Ton frère est charmant. Il a tout pour se faire aimer. Mais pour son malheur, malgré tous mes avertissements, il mâa blessée dans ce qui pour moi est le plus précieux. Je suis capable dâaccepter beaucoup de choses, mais pas la tromperie et lâescroquerie.
â Jâai beaucoup de mal à me faire à lâidée quâil ait pu tourner comme ça, avoua Marie. Je ne le comprends pas. Il est revenu un temps au manoir quand ma mère vivait toujours. Il me contredisait sur tout ce que je disais et jamais il ne voulait lever le petit doigt pour aider au bon fonctionnement du manoir et de nos terres. Il se promenait comme une âme en peine et se réfugiait dans le pavillon de chasse. Il est si différent de ce quâétaient ses frères Renaud et Simon.
â Jamais ou presque ne mâa-t-il parlé de ses frèresâ¦
â Cela peut sâexpliquer par le fait quâil est né longtemps après eux. Il ne les a pas vraiment connus. Comme il était le dernier né de la famille, je crois bien que nous lâavons un peu trop gâté.
â Câest le mot juste, reprit Justine. Il se comporte comme un enfant gâté qui veut tout obtenir sans faire dâeffort. Il ne saura sans doute jamais se contenter de lâessentiel. Il lui faudra toujours plus. Voilà pourquoi il a choisi dâescroquer cette pauvre veuve, chose que je lui pardonnerai difficilement. Si jamais il veut me reconquérir, il aura besoin de changer du tout au tout.
Chapitre 23
La pêche à lâanguille
Clément avait tenu parole. Sâil avait obtenu son embarcation au moyen dâune supercherie, il la faisait toutefois valoir de son mieux. Il mit quelque temps avant de connaître les moyens les plus rentables de pratiquer la pêche à lâanguille. Il eut le bonheur de croiser sur sa route Roger Rancourt, un pêcheur de Sainte-Croix-de-Lotbinière, lequel ne pouvait plus se servir de sa barque qui était en réparation.
â Je pourrais, dit-il à Clément, contre un salaire raisonnable tâinitier à ce genre de pêche. Nous y serions tous les deux gagnants.
Clément ne rata pas si belle occasion. Le premier soin de Roger fut dâexaminer la barque de Clément.
â Elle sera parfaite, dit-il, après que tu auras fait transformer lâespace sous la proue et sous la poupe.
â Pourquoi donc?
â On sâen sert comme réservoirs dâanguilles. Les gens achètent nos anguilles salées à la centaine pour la plupart que nous puisons dans ces réservoirs. Puis, quand nous avons fini nos ventes sur les différentes côtes du voisinage, nous mettons les anguilles qui restent en fûts et nous allons les vendre à Québec ou à Montréal.
Ils se rendirent à Québec où un ami de Roger effectua les travaux nécessaires dans la cale en y élevant des murets de séparation, puis sur le pont, quâil ouvrit de près de deux pieds aux deux extrémités afin de permettre dây verser sel et anguilles. Roger fit le tour de la barque ainsi améliorée et, se frottant les mains, sâexclama:
â Nous voilà avec lâembarcation parfaite pour le travail qui nous attend!
Ils prirent ensuite le large, remontant le fleuve jusquâà Lotbinière. Roger y naviguait en pays connu. Il indiqua à Clément où se trouvaient les meilleures pêches. Elles sâétendaient en bordure du fleuve devant presque chaque terre. On les reconnaissait aux pôles et aux fascines dans lesquelles les anguilles se faisaient
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