Le mouton noir
parents, ce qui lui a valu leur reconnaissance.
Justine avait beau argumenter de la sorte, Clément ne voulait rien entendre. Elle finissait toujours par lui dire:
â Clément Perré, tu es un homme doué de très belles qualités, mais tu as en toi un côté exécrable. Tu es buté comme un bouc. Tu ne veux pas démordre de tes idées arrêtées. Et à cause de cela, tu te prives volontairement de ce que la vie peut tâapporter de mieux.
Heureux de voir enfin un de ses projets prendre de lâampleur, Clément décida que produire mille chapeaux de castor par année était insuffisant pour faire vraiment fortune et quâil lui fallait augmenter la production. Il fit des plans, se procura le bois nécessaire, engagea un charpentier et fit ajouter une autre aile au bout de celle quâil avait déjà fait construire au pavillon. Il sâassura quâelle soit assez grande pour servir à la fois dâatelier et dâentrepôt. Il se rendit ensuite en barque à Montréal, où il fit afficher aux portes des auberges une annonce par laquelle il se disait prêt à engager deux hommes ayant des connaissances en chapellerie et prêts à travailler à Verchères. Il invitait les candidats à le rencontrer à lâauberge La Marmite de fer où il avait pris chambre pour une semaine. Il profita de son séjour à Montréal pour négocier auprès des coureurs des bois les peaux de castor quâils avaient droit de vendre à leur compte.
Trois soirs de suite, Clément reçut des hommes désireux de sâengager à la chapellerie de Verchères. La plupart nâavaient aucune expérience dans le métier et il les refusa en grognant:
â Vous ne savez donc point lire? Jâai bien mentionné que les candidats devaient sây connaître dans la confection de chapeaux. Me prenez-vous pour un débile incapable de juger si vous connaissez le b, a, ba du métier?
Il ne voulait pas être contraint dâenseigner le métier à des débutants. Toutes ces entrevues le désespérèrent de pouvoir ramener à Verchères un seul engagé. Mais la veille de son retour, un homme se présenta qui se disait apte à confectionner tous les chapeaux que Clément désirerait, et pas seulement ceux de castor.
â Où avez-vous appris votre métier?
â Auprès de mon père.
â Qui est?
â Chapelier en France.
Voyant quâil ne pourrait pas obtenir rapidement des renseignements supplémentaires sur cet homme, Clément lui posa une série de questions fort précises sur la façon de confectionner les chapeaux de castor. Ses réponses le satisfirent et il lâengagea le soir même. à défaut de deux engagés, il revint à Verchères avec cet homme en qui il avait confiance.
Le lendemain matin, il se remettait à lâouvrage avec le but de rendre son entreprise encore plus rentable. Il comptait, dès lâannée en cours, réussir à vendre plus de mille cinq cents chapeaux. Mais tout cela ne lui suffisait pas, car il réfléchissait aussi au moyen de diversifier sa production. Le hasard lui vint en aide quand, passant chez le cordonnier où il avait fait réparer une paire de souliers, il pensa quâune forte production de souliers pourrait lui apporter des sommes importantes.
Il ne tarda pas à mettre son projet à exécution en ajoutant à sa fabrique de chapeaux une cordonnerie, après quoi il procéda à lâembauche dâun premier cordonnier. Toutefois, ses engagés logés à même lâentrepôt de chapeaux se plaignaient de ne pouvoir y dormir tranquilles tant les odeurs qui sâen dégageaient les incommodaient la nuit.
â Nous avons assez de vivre toute la journée dans ce mauvais air. Pourrions-nous espérer au moins dormir ailleurs?
Clément demeura dâabord insensible à leurs revendications, puis, se laissant convaincre, il finit par leur faire construire un camp en retrait du pavillon de chasse. Ces innovations dégarnirent passablement sa bourse. Mais enfin, il était satisfait de ce quâil avait mis sur pied et, pour une fois, lâavenir sâannonçait meilleur.
Chapitre 32
Isabelle
à dix-sept ans, Isabelle, la fille aînée de Clément et Justine, ne manquait pas
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