Le mouton noir
récit, sâil ne me vaut pas leur pardon, attirer sur moi leur sollicitude! Auraient-ils agi autrement sâils avaient été à ma place? Que celui qui nâa jamais péché me lance la première pierre!
Chapitre 39
De retour au palais
Il y avait maintenant quatre années que je travaillais comme clerc chez le notaire Barolet, cet homme droit et généreux à qui, en plus de son travail de notaire à Québec et en Beauce, on confiait lâécriture de maints documents juridiques.
Un beau matin du mois dâoctobre de cette année 1748, alors que la nature nous gratifiait de son plus beau spectacle de couleurs, maître Barolet me fit demander à son bureau.
â Pourquoi, cher Clément, me dit-il, ne profiteriez-vous pas de cette magnifique journée pour vous remplir les yeux de ce que la nature a de plus beau à nous offrir?
Je me demandais bien à quoi il voulait en venir. Avait-il lâintention de me congédier? Sâapercevant de mon incompréhension, il se fit plus explicite.
â Je parle du spectacle des arbres en couleur. Lâintendant et sa suite sont présentement à Beaumanoir. Jâai à lui faire parvenir lâexpédition dâun acte judiciaire de première importance. Je ne veux pas le confier au premier messager venu. Je préférerais que vous vous transformiez vous-même en commissionnaire pour lui remettre ce document en main propre. Vous pourrez ainsi admirer les splendeurs de la nature tout en me rendant ce précieux service. Vous comprenez, maintenant?
Jâacceptai son offre et me mis en route vers Beaumanoir sans plus attendre. Arrivé sur place, je me servis du heurtoir de la porte principale à maintes reprises sans obtenir de réponse. Au bout de cinq minutes, je décidai de pénétrer et de voir venir. Au moment où jâentrais, je faillis bousculer une jolie dame qui passait en coup de vent dans le corridor. Jâen étais à mâexcuser quand surgit le majordome qui avait mis un temps fou à venir me répondre et qui mâapostropha en ces termes:
â Qui êtes-vous?
â Clément Perré, clerc du notaire Barolet.
La jeune femme, qui avait poursuivi son chemin, entendant ma réponse, sâesclaffa et revint sur ses pas en disant:
â Barolet! Vous travaillez pour ce vieil original?
â Depuis près de quatre ans.
â Ãtes-vous clerc?
â Oui!
â Vous avez du mérite. Je suppose que vous ne faites que recopier des documents dont vous comprenez plus ou moins le sens?
Je me dis: «Elle me prend pour un imbécile, eh bien, jouons le jeu!» Je fis celui qui ne saisissait pas sa question.
â Euh! Que voulez-vous dire?
Elle me dévisagea en souriant avant de reprendre:
â Quand vous transcrivez des textes, prenez-vous le temps de bien saisir leur sens?
Ses questions mâavaient rendu méfiant. Je feignis lâétonnement:
â Pardi, madame, sâil fallait en plus comprendre tout ce baragouin!
Ce fut sans doute la réponse quâelle attendait, car elle ajouta:
â Comme clerc, vous auriez meilleur avenir auprès de lâintendant.
â Il a besoin dâun clerc?
â Il se cherche un commis aux écritures pour seconder son secrétaire. Si cela vous intéresse, je lui parlerai de vous.
â Câest bien aimable à vous, dis-je. Je saurais bien être à la hauteur.
â Dans ce cas, suivez-moi!
Puis, sâarrêtant, elle me dévisagea et me demanda:
â Au fait, quâest-ce qui vous amenait à Beaumanoir?
â Ce document à remettre en main propre à lâintendant.
â Fort bien, venez!
Je la suivis dans le corridor menant aux appartements de Bigot. Elle sây déplaçait comme chez elle et, tout en me demandant qui elle était, jâavoue que je la trouvais charmante et dâune démarche fort gracieuse. Elle mâintroduisit chez lâintendant sans faire de cérémonie. En lâapercevant, Bigot se leva dâun bond de son fauteuil et dit dâune voix mielleuse:
â Quâest-ce qui me vaut le bonheur de votre visite, chère Sultane?
â Je vous amène ce clerc de chez Barolet qui a un document dâimportance à vous remettre.
Lâintendant tendit la main et je le lui remis. Je
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