Le mouton noir
vu?
â Non pas!
â Il est petit, mais vif dâesprit et très travaillant. Il sâentend bien en finance, mais, à mon avis, sa fortune ne lui est pas tombée du ciel. Il mène une vie libertine, en plus dâêtre vain, menteur, entêté et capricieux. Voilà ce quâest cet homme, que je méprise pour tout cela et pour son arrogance!
â Eh bien! dit Justine, à ce que je vois, nous nous préparons à nous jeter tête première parmi une belle bande de concussionnaires.
â Des concussionnaires doublés de flagorneurs de bas étage. Varin et Martel ne cessent de courir partout depuis des mois pour préparer la maison où logera lâintendant. Ils lâont fait réaménager à neuf et se fendent en quatre pour la meubler le plus parfaitement possible. Ils empruntent à lâun un bureau, à lâautre une commode, à un troisième un lit et à un autre encore des potiches et des tapisseries. Ils nâépargnent rien pour satisfaire celui qui peut les faire monter en grade.
Justine, que tout cela amusait, sâexclama:
â Voilà qui promet pour les jours à venir!
Mais la venue de ce majordome et toutes ces mises en scène furent vaines puisque lâintendant décida soudainement quâil nâamènerait avec lui à Montréal que son domestique particulier, la gouvernante et un autre homme à tout faire.
Chapitre 45
Varin
Le secrétaire Deschenaux devant accompagner lâintendant à Montréal, je pus, durant son absence, fouiner à ma guise dans le palais. Dans la masse de documents à transcrire quâil mâavait laissée, jâespérais y trouver quelques renseignements utiles à ma quête. Mais lâhomme était prudent et ne laissait jamais rien de compromettant à la vue. Je pus cependant glaner quelques bribes de ce qui, jâen avais le pressentiment, me serait fort utile un jour. Le soir, je reprenais la plume pour transcrire au hasard les informations qui pourraient éventuellement me servir. Jâavais lâimpression de réaliser, morceau par morceau, un vaste casse-tête dont je ne pouvais encore me figurer lâimage.
Lâintendant fit fureur à Montréal. Il avait expédié devant lui son maître dâhôtel et sa gouvernante. Leur tâche principale consistait, comme me le raconta le serviteur qui les accompagnait, à surveiller le transport de sa grande argenterie.
â Il fallait, me dit-il, quâun dâentre nous se tienne constamment dans le chariot où se trouvait la vaisselle et voie à ce que rien ne sâentrechoque ni ne se brise.
â Ces plats et ces assiettes sont de si grande valeur?
â Des milliers et des milliers de livres, je nâai jamais rien vu de si beau au pays.
Durant ce séjour dâun mois de lâintendant à Montréal, il y eut bal sur bal, réception sur réception. On qualifia le carnaval précédant le carême comme le plus gai jamais vu au pays. Le jour du Mardi gras, la fête que lâintendant fit donner dura toute la nuit. Le lendemain, mercredi des Cendres, comme il avait manifesté lâintention de se faire construire une maison à Montréal, on lâentoura de toute part, qui pour lui offrir un terrain, qui une maison déjà érigée. Comme je lâappris par un document dont jâeus à faire copie, il opta pour la maison de la veuve de son frère, quâil loua mille cinq cents francs par année. Je peux certifier que durant toutes mes années passées à son service, il nâalla que très rarement à cette maison dont la location était défrayée par les deniers du roi, et quand il sây rendait, câétait bien plus pour y procéder à de grands dîners et à des bals étourdissants que pour les affaires du pays.
à son retour de Montréal, lâintendant prépara son séjour à lâîle Royale et jâappris que le sieur Jean-Victor Varin de la Marre le remplacerait comme commissaire ordinateur durant ce voyage. Je ne connaissais de ce Varin que ce que mâen avait raconté le majordome venu de Montréal: quâil jouait à Montréal le même rôle de commissaire de la Marine que Cadet à Québec. Il me fallait en savoir plus long à son sujet et sur son travail. Quelles étaient
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