Le neuvième cercle
jusqu’à l’amélioration de juillet, alternant avec des fanes de carottes ou des feuilles de betteraves bouillies. Une fois ou deux, nous recevons un litre épais de soupe aux haricots. Depuis quelques jours déjà, le régime met les reins à rude épreuve, nous obligeant à interrompre sept ou huit fois notre repos nocturne.
— Deuxième jour : départ en kommando. Avant d’être affecté pour neuf mois à Amstetten, j’en ferai quatre ou cinq, très durs mais à coup sûr pas les pires. Tout d’abord, pendant deux jours, je roule du sable dans des brouettes, ou je déchargerai des camions de briques. Nous sommes à Roggensdorf, 5 ou 6 kilomètres du camp. Nous sommes en quelque sorte des prisonniers, chargés de déblayer le terrain, pour préparer le creusement de l’usine souterraine, projetée, et la construction des bâtiments annexes extérieurs.
— Il y avait quelques jours que nous étions à Melk lorsque, rutilant dans un « uniforme » tout neuf à sa mesure, arriva Michel Hacq. J’étais au block, cet après-midi-là, et je me souviens que, venant de Mauthausen où il était resté après nous, il me montra son dos en sang, suite des coups qu’il avait reçus pour je ne sais quel crime, lors de la réception à Melk. La chemise lui collait à la peau et il souffrait manifestement. C’est aussi, peu après notre arrivée, qu’eurent lieu les premiers décès et tout d’abord celui de Hablot, architecte départemental de la Dordogne, arrêté comme moi, à Périgueux, le 18 février précédent.
— Nous sommes au milieu d’une vallée verdoyante, de seigles tout nouveaux en bordure d’un village aux vergers fleuris de pommiers, cerisiers et poiriers. Cette usine sera creusée dans une colline de sable gréseux, compact, et quand elle sera terminée, elle comprendra sept grandes galeries principales perpendiculaires à la vallée, toutes reliées entre elles par des galeries secondaires constituant l’usine elle-même, le tout bétonné, électrifié, aménagé, équipé, rempli de machines bourdonnantes dès l’hiver, moins d’un an de travail, mais au prix de plus de six mille vies d’« Häftlings ». Pendant tout l’hiver 44-45, des équipes d’ouvriers spécialisés seront employées à la rectification de roulements à billes qui sortiront par tonnes de cette usine. Des trains entiers y entrent ou en sortent,
— Pour l’instant, notre kommando, très réduit, n’a pas d’autre tâche que le déchargement de matériel de chantier, à la gare de Loosdorf, à 4 kilomètres plus loin de Roggensdorf. Travail très pénible, irrationnel, qui exige vingt ouvriers solides où cinq « Häftlings » s’essoufflent vainement, mais où quinze se pressent et se gênent là où huit suffiraient.
— Déchargement, roulage, chargement dans les camions de matériel tel que dynamos ou alternateurs, pesant jusqu’à 8 tonnes : sans grue, sans levier, sans aucun appareil intermédiaire autre que des rondins de bois. Travail harassant, à la seule force de nos pauvres muscles, sous une pluie continuelle qui nous glace et nous colle les vêtements sur la peau, sous les coups continuels aussi, et longtemps après l’heure d’arrêt de travail, ce qui nous oblige à rentrer, tout trempés, à pied, tout le long des 8 ou 10 kilomètres de route, les camions étant partis. Ce n’est rien encore lorsque le matériel est si lourd qu’il défonce les plateaux des camions et brise les essieux ; avec nos seuls bras, avec nos seules mains, nous devons alors l’en extraire et le remonter sur le quai. Comment ? Je l’ai oublié. Que de fois sommes-nous arrivés au camp, grelottants de froid, pour toucher notre maigre casse-croûte, le « café » froid, avec deux ou trois heures de retard, ne trouvant plus nos couvertures que l’on nous avait prises, n’ayant même pas un coin où étendre nos hardes trempées que nous devions remettre, à peine égouttées, le lendemain, c’est-à-dire dans quelques heures.
— À 4 heures, le réveil, la toilette rapide, le tout ponctué de coups de poing pour les retardataires, les kapos guettent derrière les lits le malheureux qui ne descend pas du sien à la première sonnerie de la cloche (avons-nous seulement dormi ? En plus des envies fréquentes d’uriner, il arrivait, un long couloir étant ménagé à l’intérieur du garage, qu’un S.S. s’amuse, en plein nuit, à faire un circuit de plusieurs tours à
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