Le neuvième cercle
qu’il ne comprenait pas, que je n’avais pas dû vomir beaucoup. « De toute façon, me dit-il, je ne peux pas vous garder au block 31. » Je lui demandai si, du fait que je travaillais à la carrière, que c’était très dur, que j’étais faible, s’il n’était pas possible de me faire admettre au Lagerkommando. Le docteur Marian intervenant dit : « Pourquoi pas le faire admettre au block de convalescence, le block 32 ? » Une fois de plus, grâce à l’intervention de ce médecin polonais, j’étais tiré d’affaire… pour un moment.
— Ce block 32, où il était si difficile de se faire admettre, m’y voilà donc installé. Il y règne une ambiance qui contraste fortement avec la plupart des blocks du Revier et des blocks du camp. Les malades admis sont récupérables et protégés. Ils appartiennent, pour la plupart, à l’appareil du camp. La nourriture y est meilleure et plus abondante, et j’ai, de plus, la chance d’y trouver un Espagnol, François, qui exerce la fonction de coiffeur et qui avait travaillé à Paris. Il aimait bien les Français. François s’occupa beaucoup de moi, me donnant souvent du rabiot. Je pouvais espérer me retaper en restant le plus longtemps possible au block 32. Pendant ce temps, les camarades s’occupaient pour qu’en sortant, je sois admis à l’usine, à la Steyrkommando où je serais à l’abri pendant la mauvaise saison. Tout semblait donc aller pour le mieux quand, brusquement, alors que j’étais au 32 depuis quatre ou cinq jours, ce que craignait le médecin polonais arriva, c’est-à-dire que j’avais contracté la fameuse diarrhée lors de mon séjour au block 31. Pour comble de malheur, alors que le kommandoführer procédait, comme chaque soir, à l’appel – pendant lequel il était formellement interdit de parler et de bouger – une envie irrésistible m’obligea à me lever pour aller aux w.-c. Hélas ! je ne pus arriver jusque-là et je répandis mes excréments dans le block. Catastrophe ! Je fus amené immédiatement après l’appel au block 31 où le docteur polonais me reçut très mal, ne comprenant pas de quoi il retournait, ayant sans doute une arrière-pensée sur ce qui s’était passé lors de mon premier séjour au block 31.
— Je me retrouvais donc dans l’atmosphère épouvantable, indescriptible, de ce block d’extermination. Et toujours cette puanteur, cette vision d’êtres squelettiques, entièrement nus, avec leur numéro matricule sur la poitrine, ressemblant à ces bêtes que l’on marque parmi le troupeau avant de les emmener à l’abattoir.
— Mon nouveau séjour au stube A du block 31, devait être très court car, dès la première journée, j’avais été pointé une trentaine de fois par le préposé aux w.-c. Dès le lendemain, je fus jeté à « la gare du paradis », toute dernière étape avant le crématorium. Je m’y retrouvais avec mon camarade Gustave Bonnet, arrêté dans la même affaire que moi. Nous ne nous étions pas quittés depuis notre arrestation en août 1942. Comment décrire la « Chaiseraie ». Imaginez une pièce grande comme la moitié d’un stube, 8 mètres sur 8 environ. Par terre de la fibre de bois, au milieu un récipient où nous devions, en principe faire nos besoins, mais qui restait vide car nous n’avions plus la force de nous lever et nous nous laissions aller en nous vidant sur place.
— Je dois dire que nous ne faisions qu’ajouter un peu plus de merde à celle qui était là à notre arrivée, car, contrairement à ce qui se fait à la campagne dans les étables à bestiaux où l’on nettoie deux fois par jour les écuries, à la « Chaiseraie », cela se faisait environ tous les quinze jours, c’est-à-dire que la fibre de bois était depuis longtemps transformée en fumier et que, après quelques heures de séjour, nous ressemblions plutôt à des paquets de merde qu’à des êtres humains. Et ceux d’entre nous qui avaient des plaies – et rares ceux qui n’en avaient pas – voyaient celles-ci envahies par les asticots. J’ai appris, depuis, que c’était une bonne chose, que l’on appelait cela « l’asticothérapie », que ces petites bêtes nettoyaient nos plaies, les empêchant de s’infecter. Je dois dire qu’à part l’impression de chatouillement du début, l’on s’habituait très vite à leur présence.
— Une chose qui nous incommodait également, c’était l’odeur qui nous
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