Le neuvième cercle
J’avais moi-même la main à la poche pour répondre au courrier de la veille… À l’instant précis où il sortait la main de sa poche, quelqu’un bondit de l’ombre et s’empara de la lettre. C’était Hans Gartner, un kapo autrichien, sûrement un assassin comme les autres. Il me dit :
— « Komm mit ! » et se dirigea vers la sortie. Nous étions à 400 mètres de la sortie du tunnel. Quelle angoisse indescriptible ! C’était l’exécution à coup sûr dans les plus brefs délais. Selena également et sûrement mes deux camarades. J’avais gardé en main une longue barre de fer, lourde, qui était notre principal outil de travail. Il restait 100 mètres. J’apercevais les S.S. à l’entrée éclairée par les projecteurs. Il me restait une seule solution, je devais me débarrasser de ce Gartner.
— Je me reculais un peu et m’apprêtais à lui asséner un coup de barre sur la tête. J’aurais barbouillé une grosse pierre de sang et je serais revenu en vitesse à ma place. Il était courant que des grosses pierres se détachent. Il n’y avait aucune mesure de sécurité. De toute façon, c’était la seule issue pour moi. Je ne sais comment m’est venue l’idée de lui dire :
— « Gartner, tu n’es pas chouette ! Toi aussi tu reçois des lettres et des colis de l’ingénieur ! »
— C’était vrai. Il était très lié avec un ingénieur tyrolien, comme lui, et je les avais vus faire cet échange par deux fois. Le sadique marcha encore 10 mètres, se retourna brusquement et me tendit mon papier avec un rire sarcastique, ajoutant une grosse plaisanterie comme s’il venait de jouer un bon tour. Ouf ! Il a eu une riche idée de me rendre ce papier, 20 mètres plus loin il héritait le coup de barre sur la tête et deux minutes après la locomotive de Stephan, qui rentrait dans le tunnel, aurait fait le reste. Devinez le contenu de la lettre ? Je m’en souviens mot pour mot :
— « Mon grand,
« Comme je te l’ai promis, j’ai rencontré les partisans hier. Ils vous attendront dans la nuit du 15 au 16 direction de la petite cabane. »
— Nous apercevions cette petite cabane du tunnel. On y engrangeait du foin pour la mauvaise saison. Si ce papier était tombé entre les mains des S.S. quel massacre !
— Il fallait faire vraiment nos préparatifs, utilisant des ruses de Sioux à cause de ce Gartner qui continuait à rôder. Et il pouvait réfléchir le bougre. Il pouvait nous voir scier les planches indispensables pour notre fuite. Pour le calmer, l’impressionner (peut-être se doutait-il que le papier venait d’elle), Selena passa dans le tunnel avec deux gradés S.S., une nuit vers 22 h 30. Nous étions convenus, d’un commun accord, de la tactique à employer pour sortir du tunnel. Nous allions, à l’aide de quatre énormes pierres, placées à chaque angle d’un des wagons, et une grosse pierre au milieu, sur le devant et sur le derrière, nous allions poser là-dessus de grosses planches de façon à faire un double fond, remplir ce wagon comme les autres. Le travail terminé, nous nous placerions tous les trois dans l’espace libre. Il nous fallait quelqu’un pour fermer dès que nous serions à l’intérieur. Comme Granger me l’avait promis, il désigna un camarade à toute épreuve, Jouannic, pour l’ouverture, à la décharge.
— Je xxxv fus tour à tour terrassier, bûcheron et enfin mineur. À ce titre, je fus affecté au roulage qui consistait à charger des wagons de déblais extraits de la montagne que l’on perçait. Nous étions par équipe de trois pour chaque wagon. Ces wagons, appelés « girafes », avaient une forme rectangulaire d’environ 1,80 mètre de large sur 2,50 mètres de long et 80 centimètres de haut.
— Un jour, alors que nous étions au travail avec mes deux camarades d’équipe, Jean Pagès, de Prats de Mollo et Georges Huret de Paris, des civils en délégation vinrent visiter les travaux en cours. Au moment où le groupe passait à la hauteur de notre wagon, un papier tomba dedans, lancé avec discrétion par un jeune homme. Je le ramassai et lus à peu près ceci : « Nous allons repasser dans quelques instants, donnez-nous l’adresse de quelques familles de France et nous pourrons leur donner de vos nouvelles. Courage ! » Très vite, sur le même papier, je pus inscrire les noms et adresses de quelques camarades et, au retour, la personne a pu récupérer le tout. De cette
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