Le neuvième cercle
Rapidement nous installâmes notre double fond. Le wagon fut rempli au maximum qu’il pouvait contenir. Nous chargeâmes les deux autres. Je m’apprêtais à entrer le premier quand l’équipe voisine de la nôtre qui nous avait vus faire nos préparatifs s’approcha de nous. Il y eut une discussion pénible qui dura une bonne minute, ce qui faillit nous être fatal. Chaque seconde comptait. Nous nous précipitâmes dans notre cachette. À peine Pagès avait-il rentré la moitié de son corps que le convoi s’ébranla. Il fallait fermer le côté. Jouannic réussit en marche à fermer un crochet, ce qui était un véritable exploit. Ces crochets se fermaient à la masse et Pagès pesait sur la porte ainsi que la caillasse. L’autre crochet n’était pas fermé et Pagès nous dit : « J’ai mon pantalon pris dans la porte…» Un seul crochet fermé et, à coup sûr, un bout d’étoffe rayée débordant du wagon… C’était beaucoup pour le train qui allait stopper sous les projecteurs devant les S.S.
— Juste xxxviii au moment de monter, j’ai demandé à un camarade français, Jouannic qui, jusque-là, ne se doutait de rien, de bien vouloir fermer le wagon. Ce qu’il accepta, sans aucune hésitation.
— Quand le wagon fut accroché à la machine qui le tirait à l’intérieur du tunnel, nous sommes montés très vite et, cela, devant plusieurs dizaines de camarades. Personne n’a bougé…
— Le train, doucement, se mit en marche, après que notre ami nous eut souhaité bonne chance… En ce qui me concerne, j’ai eu conscience de me trouver à ce « moment de non-retour », certainement très ému, sachant que de la réussite de notre expédition dépendait ma vie, notre vie. C’était une sensation à la fois terrible et extraordinaire…
— Sur le xxxix côté du wagonnet, une porte basculante avec deux crochets à chaque extrémité pour la tenir fermée. Dans le fond du wagon, et à chaque coin, Pimpaud et son équipe avaient placé quatre parpaings en ciment de 35 centimètres de hauteur environ, puis mis des planches pour former un faux plancher. Le wagonnet était plein de pierres et de terre. J’ai ouvert cette porte du wagon et les trois camarades se sont glissés dans le fond. J’ai dû pousser sur le dernier avec mes pieds pour le faire entrer, car c’était un peu juste pour trois hommes, surtout que le « Grand Jo » était très grand. Il était replié sur lui-même. J’ai refermé la porte avec une masse, puis à l’aide d’une pelle, j’ai dû remettre de la terre dans le wagonnet car pas mal de matériel était tombé sur la voie. Nous n’étions que tous les quatre dans un endroit non éclairé. Mais à l’étage au-dessus il y avait un kapo, nommé Kaufman, qui avait vu toute la scène. Lorsque je partis retrouver mon équipe, un peu plus loin dans le tunnel, ce kapo m’a appelé et m’a dit : « Que viens-tu de faire ? » Je lui ai répondu : « Tu as tout vu, tu peux me dénoncer aux S.S. » Et je suis parti avec ma masse sur l’épaule. Ce Kaufman n’a jamais parlé. Je le remercie sincèrement. Je crois qu’il n’y avait que deux personnes au camp qui étaient au courant que c’était moi qui devais fermer le wagon, Jean Granger et un autre Français travaillant aux cuisines, dont je ne me souviens plus du nom. Moi je ne savais pas qu’ils étaient au courant, car Pimpaud est venu me chercher dans le tunnel quelques minutes avant l’évasion pour fermer le wagonnet. On ne m’en avait jamais parlé auparavant. Tout ce qui touchait la Résistance à l’intérieur du camp était cloisonné.
— Hommage xl en passant à Jouannic. Granger ne s’était pas trompé en le chargeant de cette mission. Quel courage ! Arriver à fermer un côté du wagon en pleine course, dans de pareilles conditions ! Il fallait le faire et il risquait tout simplement sa vie. Comme nous. Merci Jouannic.
— Sur xli le côté de notre wagon, à la craie, nous avions fait un signe discret. Stephan, le jeune Croate « accrocheur » pourrait ainsi repérer le wagonnet.
— À xlii la sortie du tunnel, deux S.S. parlementaient à un mètre de nous. Nous entendîmes le bruit de la tige d’acier dans la caillasse. Il arriva au nôtre. Nous n’avions pas bien pris nos mesures pour scier et ajuster nos planches. Sa tige est passée dans un intervalle et a dû nous toucher en bout de course. Ouf ! Le train s’ébranla, s’arrêta à la décharge, nous
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