Le neuvième cercle
d’avalanche très abrupte. Le premier qui s’y aventure perd pied, roule et disparaît. Il faut pourtant fuir, passer coûte que coûte.
— Les trois rescapés, dont je suis, cherchent chacun de son côté un point de passage à la mesure de ses moyens physiques. Inconsciemment, nous nous éloignons les uns des autres, nous nous séparons. Mais la providence veillait. Environ une demi-heure après la traversée de la coulée, nous nous sommes retrouvés, débouchant simultanément en un même point, de quatre directions différentes. Cette jonction mettait en quelque sorte le point final au premier chapitre de notre aventure : l’évasion. Restait à rejoindre la France et, d’abord, les partisans ; mais ceci est une autre histoire.
*
* *
« Une autre histoire…»
Celle du « Grand Jo », de Pimpaud, de Pagès se poursuit… Ils viennent d’être « embauchés » par une compagnie du génie composée de partisans.
— Nous lvii couchions dans une salle qui, exceptionnellement, avait un toit et il y avait un poêle. Nous faisions quelques corvées. Après une dizaine de jours, Pagès étant très souffrant, un officier lui dit : « Il y a un hôpital à 10 kilomètres d’ici, à Cerkno. » Nous l’avons encouragé à s’y rendre. Il en revint rapidement. Ça n’avait d’hôpital que le nom. Je passe sur les conditions qu’il nous a énumérées, les Yougoslaves étaient d’ailleurs logés à la même enseigne. Entre-temps, nous avions déserté la salle où nous couchions pour aller dans une grange toute proche. Nous étions seulement les trois Français. Le foin était mouillé mais nous avions l’habitude. Nous avions du mal à nous endormir car, enfouis dans le foin, dès que notre corps commençait à se réchauffer, c’était des démangeaisons insoutenables. Nous étions remplis de poux et de vermine.
— Début décembre, le kommando du génie se rassembla et nous partîmes dans la soirée. Vers 9 heures, nous fîmes une halte dans un village qui s’appelait Cepovan. C’est là que se tenait l’état-major du IX e Korpus. Il faisait un temps exécrable. Il neigeait à gros flocons depuis le matin. Après une soupe, on commença à chercher un abri pour dormir. Chose extraordinaire, nous avons trouvé une étable. Il y avait quatre vaches et deux cochons. Il y régnait une petite chaleur douce. Je m’installais dans la mangeoire. C’était formidable. Pagès et Pimpaud avaient aussi trouvé une bonne place. Nous dormions profondément quand, vers minuit, grande branle-bas ! « Tout le monde debout ! » ; et rapidement on nous donna des pelles. Dix minutes après, nous marchions à la queue, les uns derrière les autres, en pleine tempête de neige. Nous avons escaladé un col, traversé un bois, marché aussi pendant peut-être six heures. Pas un seul instant la neige ne cessa de tomber à gros flocons. Nous sommes arrivés vers le matin. Il y avait une très grande clairière. C’était près de Predmeya. Notre travail consistait à déblayer la neige sur une assez grande distance pour permettre à un ou deux camions de passer. Naturellement, pas de brouet clair. De suite au travail, frigorifiés, paralysés. Le chemin que nous tracions se remplissait au fur et à mesure de neige. Cette journée-là fut terrible. Le brouet nous fut servi vers 3 heures de l’après-midi. Je dis alors à mes camarades Pagès et Pimpaud : « Il faut faire quelque chose. Nous allons crever ici. Jamais nous ne tiendrons. Nous allons partir et retourner à Lokoa. »
— Je vais faire un retour en arrière de quelques jours pour vous parler de Lokoa. Nous avons été chargés, à une quinzaine d’hommes, d’aller dégager une petite route de montagne, des arbres avaient été abattus en travers de la route. Le travail fait, il fallait rentrer au port d’attache. Très mauvais temps. Il fallut s’abriter pour la nuit : c’est là que poussant plus loin que nos compagnons yougoslaves, nous arrivâmes à Lokoa. C’est un gros village, complètement dévasté : pas une maison debout, toutes les maisons incendiées, une vision d’apocalypse. C’était la tactique première des Allemands et des Oustachis : tout brûler sur leur passage pour forcer les habitants à partir dans la montagne, crever de froid et de faim et, du même coup, ils supprimaient l’aide que pouvaient fournir ces habitants, presque tous petits cultivateurs, aux partisans. Tout était détruit sauf la
Weitere Kostenlose Bücher