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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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défier du regard, mais il demeurait impassible, inexpressif, malgré
une esquisse de sourire.
    Il égrenait d’une voix calme leurs rencontres :
cette première fois, ici à Moscou, dans ce bar de l’hôtel Lux, quelques
semaines après la mort de Lénine – il inclinait un peu la tête en signe de
deuil, d’émotion, et murmurait “Notre Grand Lénine”, puis poursuivait : ils
s’étaient vus plusieurs fois à Paris dans les salons de l’hôtel Lutetia, à
Bobigny, à l’école du Parti, et rue Lafayette lors d’une réunion du Secrétariat,
en présence de Jacques Miot, de Jacques Duclos, de Maurice Thorez. Il plissait
un peu les yeux, comme pour affûter son regard, scruter les réactions de Julia,
car il ne citait pas le nom de Boris Serguine, mais il voulait lui faire
comprendre qu’il savait qu’elle avait eu une liaison avec ce dernier qui, depuis
lors, avait été exclu du Parti pour activité fractionnelle, trotskisme, collusion
avec les socialistes, lesquels n’étaient que des sociofascistes, et donc
trahison.
    Thaddeus Rosenwald, comme Heinz Knepper ou
Willy Munzer, en avaient conclu que le dénonciateur, le procureur, l’exécuteur
n’avait été autre qu’Alfred Berger.
    Il se tenait dans l’ombre,
« visage gris, main moite », écrit une nouvelle fois Julia Garelli.
    Il laissait Jacques Miot et Maurice Thorez
pérorer, déchaîner l’enthousiasme des salles du congrès. Lui, était assis
auprès de Jacques Duclos.
    « Ces deux-là, chuchotait Willy Munzer – et
Thaddeus Rosenwald approuvait – sont les correspondants français des “Organes” :
Guépéou, NKVD, services secrets. Ce sont eux qui nous surveillent, qui rédigent
les rapports adressés à Piatanov, et donc à Staline.
    — À Berlin, c’est Trounzé qui tient le
même rôle, ajoutait Rosenwald. Trounzé, tu te souviens ? »
    Elle avait surnommé ce Géorgien « le Rat ».
C’était il y avait des années. Il l’avait raccompagnée en Russie. Depuis, il
était « monté dans le Parti », dans la hiérarchie des « Organes »
et des Services. On savait qu’il était souvent reçu au milieu de la nuit par
Staline, qu’ils buvaient ensemble et chantaient en chœur des refrains géorgiens.
    Alfred Berger avait
lui aussi gravi les échelons de l’appareil.
    Il était devenu secrétaire du Secrétariat du
Parti, chargé d’établir les « biographies » de chaque camarade et de
transmettre ces « bio » au siège de l’Internationale. Le Centre
décidait si on pouvait faire confiance à ce camarade ou, au contraire, le
priver peu à peu de toute responsabilité afin qu’il ne se rebelle pas, qu’il s’enfonce
lentement dans l’anonymat, que ses liens avec ses camarades se relâchent, puis
se rompent. Et lorsqu’il n’était plus qu’un homme seul, sans pouvoir, presque
oublié, on le couvrait tout à coup d’un monceau d’immondices, de calomnies, on
le condamnait à la mort sociale.
    — Bienheureux celui-là, ajoutait Thaddeus
Rosenwald. Ou bien malheureux, c’est l’un ou l’autre, question d’individu, affaire
d’âme, de point de vue, de sensibilité. À la Loubianka, ils choisiront pour
nous, la mort sociale coïncidera avec la mort physique. Ils ont des souterrains
pour ça !
    Thaddeus Rosenwald riait, levait sa coupe de
Champagne.
    Et chaque fois que Julia Garelli croisait
Alfred Berger, qu’elle le voyait avancer les lèvres pour prononcer ce mot de « camarade »,
elle frissonnait.
    Mais que faire ?
Comment rompre ? Où aller ? Quitter la Russie, l’Internationale, ne
plus rien espérer, renier sa jeunesse et ses illusions, se retrouver face au
noir du fascisme ou du nazisme ?
    — Nous sommes condamnés à être fidèles, à
attendre qu’on nous tue, murmura un jour Willy Munzer.
    Et lorsqu’il avait vu Alfred Berger s’approcher,
il avait ajouté plus bas encore, remuant à peine les lèvres :
    — Berger, lui, ils l’ont enchaîné. Ils le
tiennent.
    Comme Julia Garelli-Knepper le regardait avec
étonnement, Munzer avait chuchoté :
    — Je te raconterai.
    Puis il avait répondu d’un hochement de tête
au doucereux « Salut, camarade » d’Alfred Berger.

20.
    J’ai voulu connaître la face obscure du destin
d’Alfred Berger, celle qu’une confidence de Willy Munzer, chuchotée à l’oreille
de Julia Garelli, avait dévoilée.
    Alfred Berger aurait donc été « enchaîné »,
« tenu », contraint d’exécuter les ordres des maîtres

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