Le Pacte des assassins
acclame Staline, mêle sa
voix à ceux qui injurient Trotski, « ce menchevik, ce traître, cette
fripouille, ce libéral, ce menteur, cette canaille, ce misérable phraseur, ce
renégat ! »
Qu’on le fasse taire ! Tout le pouvoir au
Parti ! Tout le pouvoir à Staline !
Et il approuve ce dernier qui confie :
« Oui, camarade, je suis brutal vis-à-vis
de ceux qui manquent de parole, qui décomposent et détruisent le Parti. »
Pas de complaisance,
pas de compassion ni de pitié, pas d’excuses pour les traîtres, pour ces
privilégiés, ces journalistes, ces écrivains, ces bourgeois et même ces
aristocrates qui ont rejoint le Parti et qui en sont devenus des dirigeants.
Alfred Berger les a connus à Moscou, au bar de
l’hôtel Lux. Il s’est assis à leur table. Il a trinqué avec eux à la santé de
Staline, mais il a perçu leurs réticences, leur ironie. Il les a vus échanger
des regards pleins de commisération à son endroit.
Il ne parle ni le russe, ni l’allemand, ni l’anglais,
ni l’italien, comme cette comtesse vénitienne qui se prétend une camarade. Mais
quand il a posé la main sur le genou de Julia Garelli comme il l’a fait tant de
fois avec d’autres jeunes femmes, elle s’est écartée comme s’il avait eu la
gale.
Il les a revus à
Paris, ces Willy Munzer, Heinz Knepper, et naturellement cette Julia Garelli
qui partage sa chambre avec ce Juif, ce Samuel Stern, diamantaire, dont la
sacoche de cuir noir est toujours pleine de liasses de billets qu’il remet à
Alfred Berger comme s’il s’agissait de son argent personnel, alors que c’est
celui du Parti.
Et c’est avec cet argent-là que Stern paie ses
notes à l’hôtel Lutetia ou dans les bordels qu’il fréquente.
Ça, des communistes ?
Une Internationale de la noce qui s’est terrée
dans les boîtes de nuit quand les ouvriers ont manifesté pour protester contre
l’exécution aux États-Unis de Sacco et Vanzetti, deux anarchistes. Les
manifestants ont mis le feu au Moulin-Rouge, repoussé les charges de la police,
lancé des billes sous les sabots des chevaux des gardes mobiles, et les noceurs
– peut-être, parmi eux, Samuel Stern – n’ont pas osé montrer le bout de leur
nez !
Ça, des camarades ?
19.
Lorsque Alfred Berger prononçait ce mot de « camarade »,
Julia Garelli-Knepper détournait la tête, feignait de ne pas avoir entendu, évitant
ainsi de regarder et donc de reconnaître cet homme dont chaque geste, chaque
mot la mettaient mal à l’aise :
« Visage gris, main
moite, cet homme m’inquiète, a-t-elle écrit en 1934. J’ai l’impression qu’il me
guette, prêt à bondir comme un fauve. Mais ce n’est pas un lion, plutôt une
hyène ou un chacal.
Je m’en veux d’employer ces mots qui sont ceux
dont on accable les camarades accusés d’être “déviationnistes”. Berger est tout
le contraire. C’est l’un des meilleurs staliniens français, proclame-t-on au
secrétariat du Komintern. J’approuve par mon silence les propos de Piatanov. Et
Thaddeus Rosenwald, Heinz Knepper et Willy Munzer gardent la tête baissée.
Mais, dès que nous avons quitté le bureau de
Piatanov, Thaddeus Rosenwald, qui vient d’être chargé d’une mission à Berlin, qui
sait quel sort les nazis réservent aux agents de l’Internationale, murmure en me prenant par le bras :
— Cela fait bien longtemps que nous
sommes vivants, Julia, peut-être trop longtemps. Avec des camarades comme
Alfred Berger ou Piatanov, et l’Autre, le Successeur, le meilleur disciple…
Thaddeus s’interrompt comme s’il prenait
conscience de son imprudence, de sa témérité suicidaire :
— Pourquoi est-ce que je me confie à toi,
Julia, comtesse Garelli ? Quand on t’interrogera, tu diras : tel jour,
Rosenwald le renégat a calomnié celui-ci, celui-là, il a même osé…
Il s’interrompt une seconde fois, puis, peu
après, au bar de l’hôtel Lux, il ajoute :
— Oui, je suis fou ! Mais nous n’avons
en réserve que deux possibilités d’avenir : ou bien nos ennemis nous
pendront, ou bien les nôtres nous fusilleront. »
Julia se méfiait
donc d’Alfred Berger, cherchant à l’esquiver lorsqu’elle l’apercevait dans les
couloirs ou au bar de l’hôtel Lux, ou encore dans la salle d’un congrès de l’Internationale.
Mais Berger insistait, répétait :
— Ma chère camarade, tu te souviens ?
Il la contraignait à lever la tête. Elle s’efforçait
alors de le
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