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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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nuit – alors on
le gardait à l’orphelinat avec quelques autres têtes déjà brûlées, Pozzo, Marinelli,
Ardoin, ces trois qui se sont engagés avec lui en 1910, mais Lui est parti pour
Rochefort à l’école des mousses, et les autres sont devenus chasseurs alpins, viande
de premier choix quand il a fallu nourrir la guerre à grande pelletées de
jeunes corps.
    Il a appris le métier d’électricien, et en
1914 il était quartier-maître au 5 e dépôt des équipages de la flotte
de Toulon. »
    Il y a des pages et
des pages, dans ces cahiers d’écolier, sur les années de guerre d’Alfred Berger,
comme si, à un moment de sa vie, peut-être dans le maquis du mont Ventoux, en
1944, le père avait eu pour la première fois le temps de raconter ses années de
jeunesse à son fils. Et celui-ci, les consignant, en a le cœur plein de
gratitude :
    « Il m’a beaucoup parlé. J’ai eu l’impression
de faire la Grande Guerre à ses côtés alors que nous participions à un autre
conflit. Il disait que si la Première Guerre mondiale avait vu le triomphe du
socialisme dans un seul pays, celle-ci allait accoucher de la révolution
mondiale qui balaierait le capitalisme, l’impérialisme et le colonialisme… »
    J’ai tenté, lisant
le récit de mon père, de retrouver l’émotion qu’il a ressentie, l’admiration qu’il
a éprouvée pour Alfred Berger, celui qui semblait enfin se soucier de lui.
    Mais, devant cet homme qui parle avec
complaisance et emphase, je ne suis pas bouleversé, comme mon père. Ma raison
seule est concernée.
    Je comprends la révolte de ce jeune
quartier-maître de vingt-cinq ans qui a survécu à deux torpillages, qui a vu
ses camarades se noyer près de lui, ou bien être broyés par les tôles brûlantes
du navire qui explose.
    J’imagine même qu’il est l’un de ces matelots
qui, à coups de rame, empêche les officiers, les premiers maîtres, d’approcher
des embarcations de sauvetage. Quand on recueillera les survivants, on ne
comptera parmi eux aucun galonné. Et les marins resteront muets, solidaires. On
ne les sanctionnera pas, car on est en 1917, l’année de la révolution, des
mutineries.
    On transmet cependant un rapport à la Sécurité
maritime sur ce quartier-maître, Alfred Berger, forte tête, et on l’embarque
sur le Duguay-Trouin, un croiseur qui, en 1919, jette l’ancre devant
Odessa.
    Le commandant décide d’envoyer à terre deux
compagnies de fusiliers marins pour rétablir l’ordre dans la ville, protéger
les Français et leurs intérêts, donc combattre les bolcheviks aux côtés des
soldats des Armées blanches.
    « Alfred Berger a refusé de descendre
dans la chaloupe, a harangué les fusiliers marins qui ont mis crosse en l’air, exigeant
qu’on les démobilise. Nombreux étaient à la mer depuis 1913, cela faisait donc
six ans et l’armistice était signé depuis un an. On devait laisser les Russes
faire leur révolution, on l’avait bien faite en 1789 ! On avait pris la
Bastille. On avait raccourci Louis  XVI , la boulangère et même le petit mitron, et si
les Russes voulaient faire de même avec leurs tsars, ils en avaient le droit.
    Et lorsque un premier maître, accompagné du
piquet de garde, a voulu entraîner Alfred Berger, tout l’équipage s’est rebellé.
Le commandant, après quelques heures de face-à-face entre les officiers, la
maistrance, jugulaire au menton, et l’équipage, a donné l’ordre de remonter les
chaloupes et les échelles de corde. Puis il a fait pousser les feux et viré de
bord.
    Cap sur Toulon ! Et hourras de l’équipage
pour Berger, le mutin ! »
    Il est né en ces
années-là, dans les geôles des arsenaux de Bizerte ou de Toulon, quand il faut
tuer les heures et qu’il découvre ainsi la lecture, lisant et relisant La
Mère, les yeux brouillés de larmes, puis passant de Gorki à Lénine, s’efforçant
de comprendre l’impérialisme, annotant les livres qu’un avocat nommé par le
Parti, maître François Ripert, lui apporte et que souvent la prévôté maritime
confisque.
    Alfred Berger proteste, apprend à s’exprimer, à
lutter mot à mot, à jouir de la victoire remportée : ce livre qu’il pose
sur ses genoux et qu’il caresse, paumes ouvertes.
    Là est le savoir, là est la révolte, le moyen
de naître vraiment.
    On l’oublie malgré
les campagnes que mène L’Humanité : « Liberté pour Alfred Berger ! » Il ne se lasse pas de contempler son nom, sa photo en

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