Le Pacte des assassins
respecter – au moins en apparence – la
légalité, ne pas se démasquer. Les avocats juifs restaient des bourgeois, le
plus souvent sociaux-démocrates, voire trotskistes. Il fallait suivre la ligne
du Parti, l’exemple de ces anciens députés communistes qui écrivaient au
maréchal Pétain afin d’obtenir le droit d’aller témoigner contre Léon Blum au
procès qu’intentait au dirigeant socialiste le gouvernement de Vichy.
Nausée, révolte de
François Ripert.
Il apprend qu’on a découvert à proximité de la
frontière suisse le corps d’un homme tué d’une balle dans la nuque, que la
police a identifié comme étant Willy Munzer, un réfugié allemand soupçonné
depuis longtemps d’être un agent soviétique. Sans doute avait-il été exécuté
par ses anciens camarades, Munzer ayant pris parti en faveur de Trotski, lui-même
assassiné en mai 1940 sur ordre de Staline.
François Ripert a connu Willy Munzer, tout
comme il avait connu Thaddeus Rosenwald. Il croit à la « liquidation »
de Munzer par le Parti. Mais comment manifester son indignation ? Il est
un rouage de la machine dont il perçoit qu’elle prépare ici et là la résistance
au nazisme.
Certes, ce ne sont encore que des initiatives
individuelles, de faibles vibrations, une lente mise en marche. Mais, après
tout, le cataclysme avait brisé la République, la société française, et il
était inéluctable que le Parti vacille, hésite durant quelques mois.
Et voici qu’au début de novembre, par hasard, rue
Clovis, devant le lycée Henri IV, François Ripert aperçoit son fils qui
semble distribuer des tracts aux élèves.
Il s’approche, le prend par le bras, l’entraîne
jusqu’à la rue Tournefort.
« L’émotion a
été si grande, s’est souvenu François Ripert lorsqu’il a reconstitué ces
moments, que nous sommes restés l’un et l’autre silencieux, puis, tout à coup, nous
avons éclaté de rire ensemble. Henri m’a confié qu’il préparait avec un groupe
d’étudiants communistes une manifestation à l’Arc de triomphe pour l’anniversaire
de l’armistice de 1918.
Joie. Angoisse. Fierté de savoir que mon fils
serait, ce 11 novembre 1940, à l’origine d’un des premiers actes de résistance,
et qu’il agissait en patriote et en communiste !
Enfin je retrouvais ce “Front des Français” qu’à
un moment donné, en 1937, Maurice Thorez avait souhaité, avant que la
capitulation à Munich de Daladier et de Chamberlain devant Hitler et Mussolini,
puis le Pacte germano-soviétique ne fassent basculer les communistes dans le
pacifisme, puis le défaitisme, et la France dans l’abîme de la débâcle et de la
collaboration.
Mais, en écoutant mon fils, j’ai compris qu’il
se situait avec ses camarades en marge du Parti, qu’il n’en avait pas sollicité
l’autorisation, qu’il souhaitait que je n’en parle à aucun des dirigeants avec
lesquels j’étais en contact.
J’ai murmuré “cloisonnement”, et nous avons ri
à nouveau.
« Je ne l’ai
plus entendu rire, depuis, et quand nous nous sommes fugitivement croisés, nous
étions si émus et le temps dont nous disposions était si court que nous ne
pouvions qu’échanger quelques mots, et je ne me sentais même pas capable de
murmurer “Prudence !”, tant ce mot paraissait incongru.
Car tout le Parti, à compter du jour de l’attaque
allemande contre l’URSS, le 22 juin 1941, était entré en résistance. Et j’ai
vite compris que dans le but d’en prendre la tête, d’attirer à lui les plus
déterminés des patriotes, d’effacer aussi les mois incertains et de gommer
jusqu’au souvenir de la rencontre entre Alfred Berger et le professeur Grimm, cette
tentative de négociation avec les nazis, le Parti avait décidé d’organiser l’action
armée.
La France et Paris devaient être un front
périlleux pour les troupes d’occupation.
J’ai transmis les consignes et même les armes
qui devaient servir à abattre soldats et officiers allemands sur un quai du
métro, à la sortie d’un cinéma, à la terrasse d’un café. Et tant pis – ou tant
mieux ! – si l’ennemi exécutait des dizaines d’otages. La lutte devait
être sans merci. Il fallait secouer la passivité du peuple.
J’ai appris qu’avec l’appui de la direction du
Parti qui lui fournissait les armes, les hommes, les objectifs, les planques, Henri
avait constitué un groupe armé dont j’ai su plus tard qu’il l’avait
Weitere Kostenlose Bücher