Le Pacte des assassins
libéré par erreur. Il n’a en tout cas pas livré
la direction du Parti et Jacques Duclos, qui en était la clé de voûte, n’a
jamais été arrêté.
Ce sont les partisans de la MOI qui sont
tombés entre les mains de la police française sans qu’il y ait eu – ainsi, qu’on
l’avait prétendu – dénonciation ou volonté du Parti communiste d’abandonner ces
« étrangers », Manouchian, Fontanot, Alfonso, Rayman…
Ceux-là sont célébrés, immortalisés par ce
poème d’Aragon que j’ai tant de fois récité, chanté sur la musique de Léo Ferré :
« Vous aviez
vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit, hirsutes, menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les
passants
Nul ne semblait vous voir Français de
préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le
jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts
errants
Avaient écrit sous vos photos “Morts pour
la France”
Et les mornes matins en étaient différents… »
Mais le corps sans
sépulture de Henri Ripert et de ceux de ses camarades du groupe Spartacus sont
les oubliés de la mémoire.
Alfred Berger, qui leur a survécu durant près
d’un demi-siècle – quarante-six ans exactement – n’a jamais parlé d’eux.
Et Henri Ripert, qui avait manifesté dès le 11
novembre 1940 sur les Champs-Élysées, résistant avant que son parti ne se
dresse contre l’occupant, ne survit que dans les « aveux » de son
père.
Texte iconoclaste parce que, s’il dit l’héroïsme
des uns, il dénonce la lâcheté des autres.
Il démasque le faux héros célébré, honoré, intouchable :
Alfred Berger.
L’homme dont je porte le nom comme une tunique
de Nessus.
27.
Je suis enfin rentré à Cabris.
J’ai déposé dans la boîte métallique que m’avait
léguée mon père les notes que j’avais prises à la lecture des « aveux »
de François Ripert.
Mais je n’ai pu refermer ce que j’avais appelé
le « cercueil de mes ancêtres ».
J’ai recommencé à feuilleter les cahiers d’écolier
remplis par mon père et j’ai relu la phrase qui m’avait bouleversé, qui avait
été à l’origine de mes recherches : « Alfred Berger est un enfant
trouvé. »
J’ai violemment rabattu le couvercle de la
boîte. Je n’allais pas recommencer à inventorier ces « débris humains ».
Il me fallait échapper à ce ressassement.
Mais j’ai su que je
n’en avais pas fini avec Alfred Berger, que son souvenir me brûlerait tant que
je serais en vie.
Pas seulement parce que j’étais issu de ce
fils d’inconnu, de cet enfant aux noms d’emprunt, de cet abandonné, de ce
cynique, de cet exécutant servile, de ce lâche qui voulait sauver sa peau, mais aussi parce que sa vie était la
preuve du grand saccage qu’avait été le XX e siècle.
Les hommes avaient cru – et sans doute, au
début de sa vie d’adulte, Alfred Berger aussi, et naturellement Julia Garelli, Heinz
Knepper, mais également Willy Munzer et Thaddeus Rosenwald, et, au bout de
cette chaîne humaine qui se voulait fraternelle, François Ripert et son fils
Henri – à une grande espérance, celle des lendemains qui chantent.
Et l’espoir était devenu cauchemar ; le
chemin vers les cimes de la justice, de l’égalité, de la liberté, un calvaire
conduisant aux bas-fonds barbares des camps, là où avait été précipitée, en
1938, Julia Garelli-Knepper.
Et, avant elle, Heinz Knepper, arrêté dès 1937.
Julia Garelli avait alors quémandé à Alfred
Berger une aide, un geste, car elle voulait savoir où était Heinz, ce qu’il
était advenu de lui.
Et Berger l’avait écartée, repoussée d’un
mouvement brusque de tout le corps.
C’était l’avilissement de l’idéal, la
perversion de l’espoir, devenu terreur quotidienne.
Non point des lendemains qui chantent, mais
des aubes déchirées par les salves des pelotons d’exécution.
Moi que les hasards
de la destinée avaient fait naître en 1949, l’année où Alfred Berger, devant les
juges du procès Kravchenko, calomniait Julia Garelli-Knepper, j’avais l’impression
d’avoir vécu ces années qui avaient vu l’utopie devenir meurtrière.
Je portais le nom de Berger, l’assassin, mais
j’étais aussi et tout à la fois François Ripert, père qui s’accusait, père
désespéré, et Henri Ripert, fils héroïque et dénoncé.
Alfred
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