Le Pacte des assassins
pas.”
Il était de ceux, une poignée, qui avaient
manifesté dans la cour de la Sorbonne contre les accords de Munich. Et j’imaginais
qu’il avait dû ressentir la signature du Pacte germano-soviétique comme une
trahison.
Puis ce furent la guerre, la débâcle. Paris
ville ouverte.
Henri avait réussi à ne pas être fait
prisonnier. Et c’était un combattant que j’avais serré contre moi, un militant
indigné qui s’était insurgé – trois ou quatre phrases avaient suffi – contre l’idée
de fraternisation des ouvriers français avec les soldats allemands, ces “prolétaires”
sous l’uniforme, alors que les tracts du Parti saluaient l’attitude
internationaliste des “prolétaires” parisiens qui avaient offert à boire à
leurs camarades allemands.
— Ligne politique stupide et criminelle, avait
marmonné mon fils. Qui l’a discutée ? Imposée ? Nous ne sommes pas
des Russes ! Laissons-leur Staline ! Je ne marche pas. Je reste
antinazi et patriote !
« Peut-être
avait-il espéré que je le rassure ou que je conforte son jugement.
Mais j’ai baissé la tête sans dire mot.
Je savais que le 20 juin, Alfred Berger, au
nom du Parti, allait rencontrer les Allemands.
J’avais lu le canevas qu’il avait élaboré avec
les camarades de la direction, et d’abord Jacques Duclos, pour le guider durant
sa négociation.
Ces notes m’avaient effrayé, accablé.
C’était donc cela, le Parti ?
J’avais été saisi d’un vertige. Toute ma vie
depuis les années 1920 se fissurait, un gouffre s’ouvrait devant moi.
J’ai eu peur. Je n’ai pas commenté ces notes.
C’est à ce moment-là que j’ai trahi mon fils, et
c’est lui qui a payé de sa vie ma lâcheté. »
François Ripert ne raconte pas l’entrevue d’Alfred
Berger avec le professeur Grimm, un homme de l’entourage d’Otto Abetz qui
allait devenir l’ambassadeur de Hitler à Paris. Mais, en consultant les travaux
des historiens, j’ai pu compléter ce que rapporte son manuscrit.
J’ai pris connaissance du canevas des
pourparlers et ai éprouvé le même effroi que celui qui avait dû saisir François
Ripert. Les communistes s’y présentaient comme ceux qui avaient approuvé, défendu
le Pacte germano-soviétique. Ils osaient écrire, s’adressant aux représentants
de Hitler :
« Notre défense du pacte, cela vous a
avantagé. Pour l’URSS, nous avons bien travaillé, par conséquent par ricochet
pour vous. » Ils accusaient les ministres français : « Le Juif
Mandel, après Daladier, nous a emprisonnés. Il a fait fusiller des ouvriers qui
sabotaient la Défense nationale. »
Ils se félicitaient de ne pas avoir « cédé
face à la dictature du Juif Mandel et du défenseur des intérêts du capitalisme
anglais, Reynaud. »
Ils voulaient obtenir le droit de faire
reparaître L’Humanité. Et ils expliquaient qu’ils pourraient ainsi « canaliser
le mouvement des masses », ce qui était l’intérêt des Allemands :
« parce qu’il reste dans les cœurs parisiens que c’est l’invasion
allemande. »
J’ai ressenti comme jamais du dégoût pour l’homme
dont je portais le nom, et pour ceux qui, comme lui, proposèrent aux nazis, en
échange de quelques avantages politiques, d’empêcher les « cœurs parisiens »
de se dresser contre l’occupant.
À ce moment-là, si on m’avait proposé de changer
d’identité, de rejeter ce nom compromis, Berger, d’oublier à la fois mon
grand-père et mon père, j’aurais accepté avec reconnaissance. Et j’étais d’autant
plus indigné que ce parti s’était fait (se faisait encore) professeur de vertus
patriotiques, héraut de la Résistance !
J’ai découvert d’autres textes publiés durant
l’hiver 1940, avant la défaite, dans lesquels Blum était qualifié de gredin, de
chacal, de mouchard, de canaille politique, de vil laquais des banquiers de
Londres, de personnage hideux, d’hypocrite, jusqu’à donner la nausée avec ses
contorsions et ses sifflements de reptile répugnant !
Le texte de François Ripert ne rappelle pas
ces flots de haine contre les hommes politiques français, contre Blum, ce « Tartuffe
immonde ! »
Sans doute la honte d’avoir participé à cette
ignominie avait-elle été si douloureuse qu’il n’avait pu, même à l’heure de son
ultime confession, évoquer cette période de sa vie.
Qu’eût-il pensé s’il avait eu connaissance du
rapport que le professeur Grimm avait
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