Le Pacte des assassins
Les
espions allemands, on en faisait de la cendre et on la répandait sur la terre
russe, qui avait besoin de cet engrais-là.
Si elle voulait embrasser Heinz Knepper, elle
n’avait qu’à bouffer de la terre, et c’est ce qui allait lui arriver, elle en
aurait bientôt plein la bouche ! »
Julia avait feint de
ne pas entendre ces dernières phrases, mais le désespoir s’était insinué en
elle et elle s’était souvenue de ce que lui avaient dit Willy Munzer et Arthur
Orwett.
Tout en paraissant demeurer indifférente aux
propos de Volkoff, elle avait dû s’avouer qu’elle n’espérait plus revoir Heinz.
Mais c’était pour elle seule, pour le jugement
qu’elle portait sur sa vie, ses choix, qu’elle avait décidé de se livrer aux
assassins de Moscou. Volkoff d’ailleurs ne lui avait pas laissé le temps de s’attendrir
ni de réfléchir.
Il s’était approché d’elle, il avait tenté de
soulever sa jupe, de lui toucher le sexe, puis de lui caresser les seins tout
en la traitant d’une voix rauque de putain, de salope.
Elle s’était rebiffée, elle l’avait giflé à
toute volée, et, après quelques secondes d’hésitations, comme s’il avait été
stupéfait de cette réaction de défense, il s’était jeté sur elle, cherchant à l’étrangler.
Elle avait tout à coup cessé de se débattre. Peut-être
valait-il mieux mourir ici dans ce train que dans un cachot de la Loubianka
après avoir subi les tortures des bourreaux de Beria ?
Mais le train s’était
arrêté dans l’une des gares de Leningrad et des « casquettes vertes »,
les soldats du NKVD, étaient entrées dans le compartiment réservé.
Volkoff s’était redressé, avait argué de sa
qualité d’officier supérieur des Services et d’ambassadeur. Mais le major
commandant le détachement avait présenté son ordre de mission : il devait
s’assurer de la personne de Sergueï Volkoff et escorter Julia Garelli-Knepper
jusqu’à Moscou.
Elle avait vu Volkoff pâlir, les traits de son
visage s’affaisser. Il avait balbutié des mots indistincts, comme s’il avait
été atteint d’aphasie.
Les soldats l’avaient
encadré, poussé hors du compartiment. Puis le major avait proposé à Julia des
sandwichs et du thé.
À cet instant, elle avait été sûre qu’un jour
elle échapperait à l’enfer.
39.
Lorsqu’elle était descendue du wagon à Moscou,
aidée avec beaucoup de prévenances par le major du NKVD, Julia avait aperçu un
homme voûté que des soldats à « casquettes vertes » entraînaient.
La foule, si dense sur le quai, s’écartait, ignorait
ce petit groupe et ne se retournait pas après son passage, comme si elle n’avait
rien vu.
Les vieilles en fichu, les hommes en casquette
de cuir, les paysans chargés de ballots, les pionniers se serraient à nouveau
les uns contre les autres, reconstituant ainsi cette étendue mamelonnée et
noirâtre au milieu de laquelle se détachaient les foulards rouges et les
chemisettes claires des adolescents des Komsomols.
Se hissant sur la pointe des pieds, Julia
avait suivi l’homme des yeux, hésitant à reconnaître dans cette silhouette
cassée que les soldats poussaient, soulevaient, Sergueï Volkoff.
Plus tard, en 1949, dans
l’un des livres qu’elle a publiés cette année-là, celle du procès opposant
Kravchenko aux Lettres françaises, Julia raconte qu’au camp de Karaganda un détenu lui
avait raconté avoir assisté aux interrogatoires de Volkoff.
Ils avaient eu lieu à la prison de la
Loubianka dans les heures qui avaient suivi l’arrivée de l’ambassadeur déchu à
Moscou.
« J’avais été
accablée, écrit Julia, et je m’étais étonnée de ma réaction.
J’aurais dû jubiler en apprenant que Sergueï
Volkoff, ce délateur, ce barbare arrogant et brutal, cet homme qui avait tenté
de me violer, de m’étrangler, s’était avili, sanglotant, reconnaissant, avant
même qu’on le questionne, qu’il avait espionné pour le compte des Allemands, des
Anglais – et même des Polonais !
Il avait eu si peur d’être torturé qu’il avait
inventé l’improbable, ajoutant qu’il avait été reçu par Hitler, etc. Il avait
répété :
— Dites-moi ce que vous voulez que j’avoue,
dites-moi, je le dirai ! je signerai !
On l’avait giflé parce que même les bourreaux
étaient indignés de sa lâcheté, de sa veulerie.
Il avait prétendu qu’il avait constitué un
réseau hitléro-trotskiste composé de
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