Le Pacte des assassins
Thaddeus Rosenwald, de Willy Munzer, de l’Anglais
Arthur Orwett et de moi-même.
Il m’avait particulièrement chargée, affirmant
que j’étais la meilleure des espionnes qu’il eût rencontré, la plus résolue à
tuer Staline.
Il avait paraphé tous les feuillets de sa
déposition sans même les lire.
Puis on l’avait traîné à l’abattoir et il
avait fallu le frapper pour le faire taire. Mais ça n’avait duré que quelques
minutes, et on l’avait abattu d’une balle dans la nuque.
J’avais été désespérée, comme si la déchéance
de Sergueï Volkoff m’atteignait personnellement.
L’homme ne pouvait donc être que cela : vil,
dénonciateur et couard.
Au fond, j’aurais aimé que Sergueï Volkoff
résistât, niât sous la torture, qu’il révélât ainsi, sous la gangue, une part
de noblesse.
Mais le système politique qu’il servait
transformait chaque homme en rouage.
Et nous, détenus, nous devions, pour survivre,
faire croire à nos bourreaux, à nos gardiens, que nous n’étions que des
insectes qu’on peut écraser d’un coup de talon.
La destruction de l’homme en chaque homme :
voilà ce que produisait le socialisme soviétique. »
Julia s’était
tournée vers le major du NKVD, l’interrogeant du regard.
Il avait penché la tête de côté, et avait
murmuré :
— Un jour on est ici, demain on est
là-bas, après-demain on n’est plus nulle part. Il décide…
L’officier avait ajouté :
— Une voiture vous attend. Bon courage. Quand
on se rapproche du soleil, on se brûle.
Julia avait aperçu, stationnant devant la gare,
Sa limousine.
Il voulait donc revoir Julia Garelli.
Plus tard, toujours
au camp de Karaganda, dans les derniers jours du mois de novembre 1939, le même
détenu, celui qui avait raconté à Julia la déchéance de Volkoff, lui avait
appris que le « Loup » – lui aussi l’appelait ainsi – se défiait des
femmes, qu’il désirait et méprisait.
Le suicide de son épouse Nadia l’avait laissé
plusieurs semaines brisé, révolté.
Nadia l’avait trahi.
Toutes les femmes, même celles dont il avait
fait ses maîtresses ou qui le séduisaient par leur élégance et leur intelligence, il les soupçonnait, les
faisait espionner.
Il avait fait placer des micros dans les
appartements de ses camarades les plus proches, Molotov, Kalinine, Kaganovitch
et même Poskrebychev.
Il voulait savoir ce que pensaient Polina
Molotova, Bronka Poskrebycheva, les autres épouses.
L’une avait murmuré : « Staline est
fou. »
L’autre s’était indignée de l’arrestation de
son frère.
Toutes avaient été chassées des fonctions qu’elles
occupaient, des institutions où elle siégeaient, puis on les avait arrêtées, déportées,
mais le plus souvent fusillées. Quelques-unes s’étaient suicidées.
Leurs maris baissaient la tête, tant étaient
absolues la domination qu’ils subissaient et leur propre soumission.
Poskrebychev avait dû écouter Staline dire à
la fille de Bronka Poskrebycheva qu’il avait fait exécuter :
— Natalia, tu seras aussi belle que ta
mère.
Et il l’embrassait en soupirant, puis ajoutait,
se tournant vers son secrétaire :
— Ne t’inquiète pas, on va te trouver une
autre femme.
Julia était montée
dans la limousine après que le major du NKVD se fut fait reconnaître.
Elle s’était souvenue de sa précédente
entrevue dans la datcha de Kountsevo.
Elle avait essayé de comprendre les raisons
pour lesquelles Il la convoquait.
Voulait-Il un rapport sur la manière dont le Führer
et son entourage envisageaient la possibilité de conclure un pacte avec l’URSS ?
Allait-Il lui confier une nouvelle mission ?
Elle ne croyait guère à ces hypothèses et elle
les avait cependant envisagées tout au long du trajet, préparant ses réponses.
Puis, quand elle avait vu les clôtures, les
miradors, les soldats du NKVD qui patrouillaient autour de la datcha, elle
avait été sûre que le loup voulait seulement jouer avec sa proie avant de la
dévorer.
40.
Julia était restée debout à un pas de la porte
du bureau, puisqu’il n’avait fait aucun geste pour l’inviter à avancer vers Lui,
à s’asseoir.
Il n’avait pas même levé la tête.
Il lisait, la lampe à abat-jour jaune
éclairant les pages d’un dossier ouvert devant Lui sur une petite table.
Le visage était masqué par la pénombre, tout
comme son bras gauche replié contre sa poitrine. Avec le pouce et
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