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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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en ne doutant point de son horribleté. Pour ne les connaître que trop, il en rejetait farouchement les scènes.
    Il s’assit sur le montoir près duquel s’encastrait le tablier du pont-levis. Plus encore que la douleur dont sa poitrine semblait pénétrée, sa solitude était extrême, et la conviction que la tuerie s’était produite alors qu’il était en Espagne, prisonnier du prince de Galles, n’atténuait en rien sa détresse. Tout au long du chemin, il n’avait cessé d’imaginer les scènes de bonheur et de joie qui marqueraient son retour. Rien ne coïncidait avec ses espérances et si son cœur battait, c’était affreusement. Sa pitié bafouée, fustigée, sevrée de bataille en bataille, de trépas en trépas, lui interdisait tout sanglot, toute larme. Il n’y avait aucun corps devant lequel son regard et son âme pussent se recueillir un moment. Rien d’autre qu’un vide empli de cris et de fureurs, de plaintes et de souffles luctueux (400) .
    Il essaya d’assembler ses souvenirs, de ressusciter par spasmes, les visages de Luciane, Tiercelet, Guillemette, Thierry, Raymond, Ermeline. D’autres encore. Tous se dérobèrent à sa mémoire.
    Une main se posa, légère, sur son épaule : Paindorge, sans honte, versait des pleurs.
    – Si nous avions été présents, eh bien, nous serions occis.
    – Ce n’est pas, Robert, une consolation.
    Si bref qu’eût été l’échange de leurs regards, Tristan avait pu voir dans celui de l’écuyer, l’ardeur d’une compassion qui, s’il en était besoin, témoignait à son égard d’un dévouement sans limites. Muré dans une maussaderie singulière depuis leur départ de Rechignac – regrettait-il Perrine ? -, l’indispensable Robert s’éveillait à la pitié la plus vraie, la plus fraternelle pour ce chevalier dont il n’ignorait rien et jugeait équitablement les joies, les émouvements, les afflictions les audaces et les défaillances.
    – La volonté de Dieu, dit-il enfin, simplement.
    Insensible à ce qui lui paraissait une remarque inutile, Tristan se tourna vers les deux soudoyers immobiles parmi les chevaux inquiets.
    –  Savez-vous qui commandait à ces malandrins ?
    – Non, dit Lemosquet. Tout ce qu’on a appris Coutances, c’est que des routiers anglais se sont alliés aux Navarrais… Comment savoir si ce sont eux qui on assailli Gratot ? On dit que certains, après avoir quitté l’Aquitaine, sont venus en Normandie 212 .
    – Les Goddons sont partout, enchérit Lebaudy. On a failli entrer dans Cahors sans savoir que c’en était plein (401) .
    Tristan les écoutait à peine. Il ne pouvait imaginer que les êtres de chair qu’il s’était réjoui de pouvoir étreindre fussent devenus des fantômes. Il n’entendait aucun autre bruit que celui de son cœur. Cruel répit après une chevauchée où, parfois, il s’était surpris à sourire, voire à chantonner. Ses pensées se concentrèrent sur Luciane. C’était terrifiant la façon dont Dieu l’en avait privé ! Était-ce la conséquence de ses infidélités ? ;
    – On s’est dit : « On va les attendre  », et vous voilà !… Hein, Girard ? questionna Lemosquet.
    Lebaudy approuva. Ils s’étaient astreints à une longue patience, bien que celle-ci ne fût pas un des traits dominants de leur caractère. Tristan n’osa leur demander comment ils avaient fait pour manger. La chasse, certes. Mais encore ?
    – Faudra nous recorder 213 tout ce qui vous est advenu. Hein Yvain ?
    Cette fois, Lemosquet acquiesça. Paindorge également.
    – On était en otagerie comme Guesclin et moult autres. On a durement obtenu notre liberté. Pas vrai, messire ?
    Tristan savait que l’écuyer tairait leur rencontre avec Tancrède et leur séjour à Rechignac. Pour Paindorge, Lebaudy et Lemosquet, la vie reprendrait sereinement son cours. Rien, pour lui, ne serait plus pareil.
    – Où sont-ils ? Qui les a ensépulturés ?
    – Des loudiers 214 qui passaient pour se rendre à Coutances. La punaisie de tous ces corps les a attirés. Il les ont mis en terre mêlés aux routiers occis dans la bataille.
    Morts. Même Tiercelet si vaillant et habile à manier l’épée ! Même Thierry ! Jusqu’au dernier moment, ils avaient dû protéger Luciane. Mieux valait qu’elle eût succombé d’un coup de lame que livrée au bon plaisir de la maraudaille.
    Une idée s’imprima tout à coup, virulente, dans le cerveau de Tristan. S’il l’exprima, ce fut dans

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