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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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avait placé sur son chemin Francisca la Sévillane et Tancrède, la tentation faite femme ? Beautés divines ou beautés du diable ? Il n’avait eu qu’à cueillir ces belles fleurs qui sollicitaient un geste, le même geste que tout autre homme que lui – même marié -, eût accompli. Il aurait dû maintenant se sentir coupable et honteux. Il n’en était rien et son affliction ne l’instiguait pas aux larmes. Sa tendresse envers Luciane n’était point émoussée, mais sa mort ne la magnifiait point. Et si de claires images d’emmêlements lui montaient invinciblement à la tête, n’était-ce pas parce que l’acte d’aimer avait composé le meilleur de leur existence ? Qui, hormis les prêtres et encore ! – eût pu lui jeter la pierre ?
    – C’est là.
    Il y avait sur les corps un matelas de terre herbue çà et là enchardonnée. Tristan joignit ses mains et regarda le ciel.
    – Seigneur, murmura-t-il, pourquoi suis-je ainsi ? Pourquoi cette dureté ? Pourquoi ces pensées effrénées ? Accordez-moi au moins cette miséricorde d’être désespéré d’elle et de moi-même. Est-ce la guerre qui m’a endurci si malement ? Je me suis moult fois remis entre Vos mains. Je n’ai jamais demandé rien d’autre à la vie que d’accomplir Vos volontés. Dans quelles ténèbres ou quelles lumières vais-je devoir avancer ? J’aimais Luciane. J’eusse dû l’aimer ardemment… Cela n’eût rien changé à notre destinée… Accordez-moi Votre pitié, Votre pardon et Votre aide.
    Ces paroles étaient-elles nécessaires ? Exprimaient-elles tout ce qu’il éprouvait ? Et qu’éprouvait-il ? Du repentir au lieu que ce fût du chagrin. Non ! Il avait beau regarder l’éminence sous laquelle les trépassés reposaient, il n’imaginerait pas ce qu’était devenue Luciane ni aucun de ses amis.
    Il s’en revint vers le château, éprouvant toujours au tréfonds de son corps cette quiétude absolue qui n’était pourtant pas dans sa nature. Jamais il n’avait connu cette égalité d’âme, cette résignation doublée d’un inaltérable sentiment de paix.
    « Le Christ est en moi », se dit-il.
    Du moins croyait-il sentir sa bonté l’atteindre jusqu’aux plus petits recoins de sa personne.
    « Je suis son instrument, rien de plus, rien de moins. »
    Quelles décisions devrait-il prendre sans délibérer sitôt qu’il aurait rejoint ses compagnons ?
    « Nous devons partir. Abandonner ce châtelet qui, je crois bien, porte malheur à ceux qui l’aiment. »
    Il avait fallu qu’il revînt à Gratot pour apprendre qu’il renaissait à une autre existence. Elle serait peut-être celle d’une réhabilitation par des actes valeureux ou une expiation dont il vivait ce jour le préambule. Comme Rechignac, Gratot serait abandonné. Comme Rechignac, il vivrait seul sa vie de pierre. Ceux qui l’avaient hanté avaient accompli leur tâche terrestre et il fallait maintenant que lui, Castelreng, l’adopté, partît ailleurs quasiment seul. Mais pour quelle raison ? Et pour découvrir quoi ?
    – Nous guerpirons demain, dit-il à Paindorge avant même d’être auprès de son écuyer.
    – Nous irons où ?
    – Je n’en sais rien.
    – Passerons-nous par Paris ?
    – Le roi me croit mort, j’imagine. J’ai fait pour la Couronne – Jean II et son fils Charles – plus que n’ont fait des maréchaux et capitaines. Je ne veux plus subir la volonté d’autrui.
    – Quand cessera son otagerie, Guesclin vous cherchera ou vous fera chercher.
    Sa prédiction faite, Lebaudy ceignit son épée, saisit son arbalète et son carquois et s’engagea sur le pont-levis. Lemosquet le suivit, armé de même.
    – Bertrand dira au roi que vous vous êtes enjuivé en Espagne.
    Entre Alcazar et Malaquin, Tristan, à son tour, franchit la douve :
    – Le Breton reste dans mes pensées comme je reste dans les siennes. S’il n’était à Bordeaux dans sa geôle dorée, son nom me serait monté à la tête en même temps que celui de Bagerant. Je le retrouverai : Dieu me le permettra.
    C’était en ce jour noir sa seule certitude.

II
     
     
     
    La neige voleta pendant qu’ils contournaient Coutances. Elle tomba dru lorsqu’ils s’engagèrent sur le chemin qui, par Avranches, devait les mener à Fougères.
    – On sait même pas, grommela Lemosquet, si ces deux cités sont à Édouard ou à Charles.
    – Nous verrons bien ventiler sur les murailles les bannières de France ou

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