Le pas d'armes de Bordeaux
d’Angleterre. Et s’il n’y en a point, continua Lebaudy, j’irai à pied nous quérir des vitailles.
L’inclémence du temps les chagrinait tous. Il fut convenu qu’ils ne chevaucheraient que de l’aube à none 215 afin de ménager les montures.
Tristan, sur Malaquin, tenait Alcazar en longe. Paindorge, sur Flori, avait pour souci Carbonelle. Lebaudy montait Babiéca, le genet de la défunte Teresa et menait Coursan au bout d’une corde légère. Lemosquet montait Nestor et s’occupait de John, le cheval de Tancrède. La seconde mule suivait sans lien. Paindorge l’avait baptisée Mahaut sans fournir la raison de son choix.
Après Fougères, Laval et Tours, Issoudun fut atteint le dimanche 30 janvier. Embrasée par le prince de Galles en 1356 (402) , cette cité montrait encore, en deçà d’une enceinte à demi ruinée, ses plaies et ses brûlures. Après deux semaines d’un cheminement difficile et de haltes dans des granges, Tristan décida d’entrer dans une hôtellerie où ses hommes, les chevaux et les mules seraient au chaud et bien nourris. Ce fut l’ Arbalète dorée , proche de la Tour Blanche.
L’accueil qu’ils reçurent fut d’autant plus empressé qu’ils étaient les seuls voyagiers que l’aubergiste eût reçus depuis quatre jours.
Pour entreprendre un reze 216 par ce temps, dit maître Isidore, faut être fou… à moins d’avoir de bonnes raisons.
– Nous en avons, dit Paindorge.
– Faut avoir aussi de la vigueur et du hardement.
En insistant ainsi, l’homme espérait obtenir un lambeau de confidence susceptible de l’informer sur ces inconnus et l’objet de leur chevauchée. Il n’en fut rien, mais comme il leur versait quelques louchées d’un brouet aux fèves, il surprit dans un propos de Lebaudy le mot de Nâjera et demanda « Vous y étiez ? ». Sur un acquiescement de Paindorge, il laissa paraître sa satisfaction :
– Je vais vous faire un gros plaisir !… Guesclin est libre 217 !… La nouvelle est partie de Bordeaux à tire-d’aile… Vous le connaissez ?
Maître Isidore ne sut comment interpréter le silence de ses hôtes. Paindorge mit fin à sa perplexité :
– On le connaît bien. On a guerroyé à sa suite.
– On dit qu’il a payé sa rançon.
– C’est le roi, dit Tristan, bien que le trésor qu’il a amassé en Espagne lui eût permis de se racheter seul… s’il est capable de se racheter de quoi que ce soit !
Il trouvait tout à coup la soupe fort amère. Il allait poser sa cuiller quand il décida de ne pas déplaire à son hôte : « Si nous le contrarions, il nous prendra pour des routiers ! » D’un sourire, il incita même Isidore à poursuivre.
– On dit que sa rançon était de cent mille florins d’or. Le prince l’a ramenée à soixante-dix mille sans en rabattre une obole… Or, on dit… pas moi, mais le chevaucheur qui est passé à l’hôtellerie… on dit que la princesse de Galles l’a invité à sa table et qu’elle a rabattu trente mille florins de sa dette… Il s’est agenouillé pour lui baiser les mains.
– Voilà bien, dit Paindorge, ce qu’il n’aurait pas fait si elle avait été juive !
– Il chevauche vers la Langue d’Oc.
– Ah ! fit Tristan. De qui tenez-vous ces nouvelles ?
– Du même chevaucheur qui allait à Paris.
– Soit… Que va-t-il faire, Bertrand, en Langue d’Oc ?
– Trouver le duc d’Anjou qui guerroie contre la reine de Naples.
– Jeanne… murmura Tristan qui se sentit soudain observé par Paindorge.
À peine eut-il exclu de ses souvenirs cette femme luxurieuse et cruelle que deux autres, qui eussent pu prendre rang auprès d’elle, troublèrent sa mémoire Perrette Darnichot et Mathilde de Montaigny. Comparée à ces cagnes, Tancrède prenait l’aspect d’une espèce de sainte.
Comme maître Isidore s’éloignait vers la cheminée où rôtissaient quelques volailles, Paindorge crut pouvoir donner son opinion :
– Que ce Breton aille au diable !… Auprès du duc d’Anjou, il sera moins voulenturieux qu’en Espagne… Il doit être rassasié de sang et de pleurs.
– Un autre le serait. Pas lui. Il lui faut du sang et des larmes comme il nous faut à nous de l’air et de la nourriture.
– Vous n’allez tout de même pas nous entraîner là-bas ?
Là-bas , où était-ce ? Non, ils n’iraient pas se replacer à la suite du Breton. Ils chevaucheraient au sud et prendraient leur temps pour ne pas arriver en
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