Le pas d'armes de Bordeaux
qui peut-être affleurait l’aversion.
– C’est un falourdeur 247 ! dit Paindorge.
– Un fumeux 248 ! enchérit Lemosquet.
Tristan enfonça ses yeux dans ceux du capitaine. Ils cillèrent et se mouillèrent de larmes dues au vent.
– Sais-tu qui pourrait accepter nos services ?
– Oui, messire. Allez donc à Villerouge en Termenès. J’ai ouï dire que le remplaçant de monseigneur Bernard de Farges, l’archevêque de Narbonne, a besoin d’hommes. En partant maintenant, vous y serez juste avant la vesprée…
– Quel est le nom de ce successeur ?
– Pierre de la Jugie, messire.
*
Située sur un haut plateau des monts des Corbières 249 et contrairement à Peyrepertuse, Villerouge avait l’aspect d’un château de plaine entouré de quelques maisons frileusement attenantes où çà et là s’insinuait une ruelle. Les jets de quelques perrières érigées sur les sommets proches du village eussent suffi à l’anéantissement des lieux, forteresse y comprise. Les sachant patrimoine chrétien, Simon de Montfort avait renoncé à les exterminer. Tristan supposait qu’après s’être signé en hâte, l’infernal conquérant avait entraîné ses hordes vers des abominations plus vastes.
Si l’église érigée sur une hauteur enfermait la ferveur de la cité, le château en constituait le corps. Bien que bâti sur un ni veau inférieur à celle-ci, ce colosse assemblait sous sa protection les maisons serrées à l’entour de ses flancs indemnes.
– Pourvu qu’on trouve de quoi dormir ! geignit Lebaudy.
– Et à manger ! grogna Lemosquet.
Par-dessus les tuiles vernissées d’humidité, le ciel commençait à s’assombrir. Dans le silence solennel où le froid confinait le village, on entendait la vie : une porte qui se fermait ou s’ouvrait, un verrou glissant dans ses verterelles et çà et là le clapotis de quelque paire de sabots. Villerouge s’apprêtait à entrer dans la nuit. Son âme solitaire prenait une sonorité toute vibrante, prête à frissonner à l’unisson de la campagne quand, si ce n’était fait, la cloche de bronze, immobile, répandrait sur toute la châtellenie, et sans doute au-delà ses tintements et vibrations.
– Approchons, dit Tristan qui s’était arrêté afin d’embrasser le pays d’un coup d’œil. Il n’est plus temps de s’attarder. Nos chevaux et nos mules n’en peuvent mais.
– Nous aussi, soupira bruyamment Paindorge.
Le château présentait une enceinte carrée pourvue d’une grosse tour-donjon et de trois autres plus petites. Composée de merlons de petite taille visibles en un seul endroit – l’entrée – la ligne de tir renforcée par des hourds 250 courait tout autour des hauteurs.
– Il ressemble à Castelreng, dit Lemosquet.
C’était vrai, et comme à Castelreng, cette bastide exprimait l’unité communale, sa vigueur et sa confiance en sa solidité. Tristan savait ce qu’il verrait à l’intérieur, au-delà de la porte munie de lourds vantaux, doublée d’une herse et surmontée d’un assommoir : des bâtiments adossés aux courtines parmi lesquels le tinel, la cuisine, la chapelle, le grand logis de l’archevêque, des officiers, des sergents et des valets.
Un homme qui veillait sur le seuil s’approcha, gros, souriant, les cornettes du chaperon rabattues sur ses oreilles afin de les soustraire au froid. Son armement consistait en une anelace pendue à sa ceinture.
– Nous voulons voir l’homme d’Église ou non qui commande en ce lieu.
– Êtes-vous attendus ?
– Non… Nous venons de Peyrepertuse.
Le regard 251 se courba avec un brin de cérémonie.
« Bon sang ! » se dit Tristan. « Viendrions-nous de la part du roi que l’effet, sur ce huron, serait le même. »
– La bonne chance est avec nous, messire. Monseigneur Pierre de la Jugie séjourne à Villeneuve depuis quatre jours. Demain matin, il part pour Carcassonne.
« Lui aussi ! » songea Tristan au souvenir de sa déception d’Alet. « Que se passe-t-il là-bas ? Un concile ? »
– Qui êtes-vous ? Il se peut que monseigneur vous récuse.
– Tristan de Castelreng, chevalier. Mon écuyer et deux de mes hommes.
C’était donner à penser qu’il commandait à d’autres, quelque part. Hélas ! Ces courageux étaient morts en Espagne.
– Attendez…
Le portier s’éloigna et reparut en hâte, le sourire large et les mains accueillantes :
– Venez… Amenez vos chevaux à
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