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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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vainqueurs, des bourreaux et de ceux qui les excitent et qui sont, Dieu me pardonne, les truchements des rois.
    – Mon fils !… Aucun roi, aucun homme d’Église ne peut jouir de ces grands malheurs que sont les guerres. Allons, allons ! N’en parlons plus… Je conçois votre amertume. Vous avez sur moi l’avantage d’avoir assisté à des choses que je n’ai pas vues, dont je n’ai même pas idée, mais ce n’est pas une raison pour vous montrer si rigoureux.
    Tristan pensa : « Il en a de bonnes ! » et s’éloigna.
    Il se renfrogna. Sa taciturnité fit des progrès dont Lemosquet et Lebaudy s’inquiétèrent. Et Paindorge sitôt qu’il était de retour à Villerouge.
    – Bon sang, messire !… En avez-vous assez de vivre cette vie ?
    – Est-ce, Robert, l’existence que tu souhaites mener ?
    – Non, certes !… Mais nous sommes au chaud. La nourriture est bonne. Où voudriez-vous être ?
    – Chez moi.
    Quand il l’avait quittée en 1356, la Langue d’Oc était en assez bon état. Douze ans après, dans le double sillage du bayle et de son assesseur, ses errances lui révélaient combien ce pays et ce peuple avaient souffert de calamités persistantes. La peur du malandrin avait vidé certains hameaux. Les terres à l’entour étaient tombées en friche. Ceux qui avaient échappé au pillage et à l’occision avaient souffert d’une mortalité due à des épidémies irrémédiables et à des disettes qui ne l’étaient pas moins. Dans certains villages, on parvenait à manger à sa faim, dans les cités de moyenne importance où il était possible d’élever des lapins, poulets, brebis et porcs, les manants eux aussi satisfaisaient leur faim. Mais la rumeur disait qu’on mangeait chichement à Carcassonne, Limoux, Mirepoix, Quillan, Pamiers et sans doute Toulouse. Le Pape avait incité ses prélats et jusqu’au dernier de leurs clercs à « faire des visites  » afin qu’il pût juger de la situation et instituer des palliatifs. Il semblait que ses députés en surplis et en bure eussent rechigné à exécuter ce vœu pieux doublé d’une injonction qui demeurait stérile. C’était par la prière que les ministres de Dieu satisfaisaient les décrétales d’Urbain V : outre qu’elles n’endolorissaient que les genoux, – et encore, on les disait plus cornés qu’un cuir de semelle – ces oraisons éparses évitaient de s’écorcher la vue au spectacle des populations mal heureuses.
    Mieux informé que quiconque, le bayle confiait parfois à ses compagnons que le Pape, comme son prédécesseur Innocent VI, avait envoyé des lettres secrètes et curiales à ses évêques afin qu’ils fissent leur possible pour accéder à ses désirs. L’une de ses requêtes consistait à ne réclamer provisoirement que la moitié des taxes accoutumées si le pasteur ou son délégué procédaient eux-mêmes à l’inspection. Les messages du bayle que Tristan écrivait parfois lorsque Pons de Missègre se plaignait de sa dextre endolorie par le mal artétique 266 , faisaient état des dif ficultés rencontrées auprès des gens de la terre de moins en moins enclins à acquitter leur tribut.
    S’il tenait fermement à obtenir des fonds, Pierre de la Jugie avait cependant d’autres soucis en tête, à commencer par la translation des reliques de saint Thomas d’Aquin à Toulouse 267 , cérémonie à propos de laquelle l’épiscopat de la Langue d’Oc lui avait demandé son avis. À ce souci se joignaient maints ennuis concernant la poursuite des travaux du palais et de la cathédrale de Narbonne auxquels les consuls s’étaient souventefois opposés. Il s’agissait de rattacher au donjon deux corps de bâtiments neufs, l’un pour abriter la salle du synode, l’autre une chapelle.
    – Si vous voulez lutter contre la mélancolie, messire, disait encore Paindorge, trouvez-vous une femme. Elles sont rares, c’est vrai, à Villeneuve, mais quelques-unes sont jolies et vous regardent avec une ferveur que Lebaudy, Lemosquet et moi, on vous envie.
    – Je sais, Robert, je sais. Les filles de la Langue d’Oc ont faim et moi je n’ai plus d’appétit.
    – On dit qu’il vient en mangeant.
    – Cela dépend de ce qu’on mange !
    Il voyait bien qu’il plaisait. Sitôt qu’il apparaissait après avoir cheminé un ou deux jours, une semaine ou davantage avec le bayle et Pons de Missègre, sitôt qu’il sortait du château pour errer le long des étroites berges du Lou,

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