Le pas d'armes de Bordeaux
murailles.
– Oui, nous repartirons, Maguelonne.
Seul Lebaudy échappait aux tourments de l’incertitude. Absorbé par la vie du village à laquelle il s’était aisément intégré – et dont il commençait à parler la langue 272 -, il trouvait les plaintes de Paindorge et les doléances de Lemosquet fastidieuses.
– Je suis un chevalier d’aventure… Je ne saurais me lier d’amour ou d’amitié…
Tristan sentait son vocabulaire usé, terne, dépourvu de toute amiableté. Il regarda Alazaïs et Sibille. Elles ne différaient point des donzelles de Villerouge ni d’ailleurs des femmes qu’il avait vues ou entrevues. Elles participaient aux travaux des champs, des vignes et de la maison. Maguelonne semblait encline à lui raconter sa vie, mais il l’eût écoutée sans la même avidité avec laquelle elle écoutait ses propos. Tandis qu’il devinait l’éveil d’un merveillement qu’il repoussait comme immérité, il s’irritait d’être si peu bavard. Il se surprit à envier la loquèle de la blonde et de la brune.
– Il semble que votre sœur et Alazaïs n’aient pas parlé depuis des années.
– Quelque chose leur manquait qu’elles ont trouvé ce soir.
– L’amitié ?
Ce mot proféré, Tristan conserva pour lui les suivants : « le mâle à défaut d’amour » et s’avoua qu’il était injuste.
– Je ne suis pas aise à Villerouge, dit-il enfin. Ni ailleurs.
Cet aveu spontané le consterna autant que Maguelonne.
Ils furent soudain agacés par le remuement des autres, par ces voix qui s’assemblaient en un chœur discordant et qui, toutes, avaient la pesanteur d’un plain-chant. Cette rumeur entrecoupée de rires les avait un moment isolés, protégés. Elle em piétait désormais sur une intimité trop fragile, et même la menaçait.
– Venez, Maguelonne.
Elle consentit à le suivre. Afin de la protéger des regards et des commentaires, il l’entraîna hors des murailles. Et sitôt qu’ils foulèrent les herbes et les graviers, la jouvencelle confia d’une petite voix languissante :
– Villerouge sans vous perdra…
– Perdra quatre hommes… Je devine, m’amie, ce que vous essayez de me dire. Notre départ vous fera l’effet d’une navrure… Elle se cicatrisera.
Ils piétaient dans une jachère. Épaule contre épaule, parfois. Tristan s’apaisait. La simplicité de Maguelonne, les regards souvent amusés qu’ils échangeaient entre deux propos graves lui procuraient un plaisir qui, sans aplanir la maussaderie consécutive à son passage à Castelreng, lui redonnait du bien-être. Il ne sentait plus sur ses épaules et dans sa tête la subordination quotidienne à des hommes dont la hautaineté, la piété, la rigueur en toute chose développaient en lui, au lieu du respect, un sentiment d’inaltérable ennui.
Ils croisèrent les vieux soudoyers du château – Blondelet. Petiton, Foulques, Guichard et Jovelin – qui les saluèrent sans surprise. Quand ils se furent éloignés, Maguelonne eut un soupir :
– Guichard et Foulques se sont retournés.
– Craignez-vous qu’ils ne disent du mal de vous ?
– Non… Mais ils diront à mon oncle qu’ils m’ont vue avec vous.
– Je ne vous ai pas déshonorée !… Dites-moi votre pensée.
Elle ne répondit pas. Sa voix devint plus humble :
– Vous devriez rester.
– Pour le bayle ou pour vous ?
Maguelonne baissa la tête.
– Pour moi.
Comme tous les êtres pusillanimes, elle connaissait cette sensation de puissance souveraine qu’exaspérait, avec leur faiblesse évidente, le désir de possession. Tristan comprenait cet égoïsme. La sincérité de la jouvencelle eût satisfait, chez un autre que lui ce besoin d’ostentation qu’il connaissait à la plupart des hommes, particulièrement des chevaliers. Ils aimaient ; à se paonner en tous lieux et circonstances et surtout devant les tribunaux des dames qui ne siégeaient pas qu’aux joutes.
– Pour moi, dit Maguelonne avec plus d’assurance. Vous voir… vous savoir présent quand je ne vous vois point…
– Cela vous suffit-il ?
Elle hocha la tête et rougit. Certes, il eût pris plaisir à la mieux connaître. Dans ses foucades, ses audaces, ses dissimulations et ses faiblesses ; dans sa nudité franche ou effarouchée. Cette curiosité s’exerçait déjà dans les regards qu’il portait sur ses joues, son menton, sa poitrine. Il ne la satisferait point.
– Tu es hardie, fit-il, passant au
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