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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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précipitaient sur toutes ces lèvres avides de parler sans trêve. Maguelonne, elle, résistait au désir de s’exprimer. Tristan se poussa vers Paindorge pour qu’elle prît place à son côté ; elle refusa de la tête. Il lui saisit les mains, la contraignit à s’approcher et à s’asseoir, ce à quoi elle consentit d’un air mécontent et d’une façon paresseuse.
    Ses longs cheveux avaient la couleur des châtaignes quand, en septembre, elles surgissaient, mores dorées, de leur oursin. Ses prunelles d’un bleu sombre était cerclées de noir. Elles semblaient vernissées, elles aussi, sous des paupières pâles aux longs cils ténébreux, relevés et fournis. Elles cillaient parfois avec une promptitude étrange comme pour parfaire encore la brillance des yeux.
    Tristan, tout comme Maguelonne sans doute, savourait le plaisir de sentir une hanche contre la sienne. Hanche dure et qui remuait à peine. Il se demanda où le mènerait cet échange muet de sensations qui avaient certainement des noms. Elles le rendaient hostile aux fébrilités caquetantes de ses voisins et voisines. D’aucuns s’en fussent montrés incommodés ; il se sentait enclin à l’indulgence pour ces gars et ces filles qui parfois, autant que lui, autant que Maguelonne devaient imaginer, au tréfonds de leur cœur, une vie plus complète après des épousailles aussi brèves que solides, et peut-être souhaitaient-ils que la rencontre de ce soir les y conduisît.
    « Non, pas moi !… Je suis reçu de tout : de l’amour à la haine. »
    Le mariage et ses déceptions, la guerre et ses cruautés avaient développé l’ourserie de son caractère. Nulle femme au monde ne le guérirait de cette atrabile.
    – On vous nomme Tristan, messire. Est-il vrai que vous venez de Castelreng ?
    – Entre autres lieux que j’ai dû quitter.
    – Êtes-vous chevalier comme le dit Alazaïs ?
    – Je le suis.
    Il se demanda s’il dressait entre elle et lui une palissade qui les inciteraient à prendre leurs distances.
    – Et toi, d’où viens-tu ? Es-tu née à Villerouge ?
À Maguelonne, mais j’ai passé moult années à Coustaussa…
    Coustaussa : un château énorme. Simon de Montfort en avait fait la conquête. Tristan se sentait peu enclin à poser des ques tions, encore moins à fournir à la jouvencelle des informations sur sa personne. Elle se garda de lui demander la raison de sa présence à Villerouge : elle la connaissait. Elle l’observait plus franchement et lui souriait désormais sans contrainte. Peut-être, comme ses amies, avait-elle institué dans son esprit l’ordonnance d’un cortège peu fourni, mais gai, progressant, entre les travées de l’église jonchées de fleurs blanches, dans le flamboiement mirifique des cierges et des vitraux.
    « Pour moi aucun bobant 271 . Aucun serrement de main ! »
    Les mains ! Molles, rudes, chaudes, sales, poisseuses… Et les accolades assorties de baisers humides ! Il devait dissuader Maguelonne d’entretenir un tel dessein.
    – Nous partirons un jour mes compères et moi.
    Il s’interrompit, chagriné justement par ces mains jointes qui tantôt se fuyaient, tantôt se rejoignaient dans un spasme nerveux juste au creux de la robe dont la tiretaine élimée révélait des ombres charnelles.
    – Ce n’est pas pour maintenant.
    Le visage de Maguelonne, soudain, n’avait plus de sang. Ses yeux s’étaient embués tandis que sa bouche se serrait sur un long soupir de mésaise. Elle toucha le frontal de laine rouge assorti à sa robe. Tristan y vit perler quelques gouttelettes.
    – Pourquoi partir ? N’êtes-vous pas aise à Villerouge ?
    – Pour le moment, oui.
    Un jour, la vie sur ces hauteurs deviendrait lourde, insupportable. Il commençait à se lasser des chevauchées qui le menaient de village en village, de cuculle en cuculle et de mitre en mitre, car il advenait qu’il allât en Narbonnais, soit avec le bayle et Pons de Missègre, soit avec l’un des deux, soit encore avec ses compères… Pierre de la Jugie, qui commençait à le connaître, le traitait avec un empressement où la satisfaction d’avoir à compter moult espèces sonnantes, l’emportait sur la bienveillance. Oui, son parti était pris : à la fin de l’année, il reviendrait à Castelreng. Ses compagnons l’y suivraient. Que son père fût mort ou non, il commanderait au château. Si Aliénor et Olivier regimbaient, il les ferait jeter au-delà des

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