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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’étroitesse du dedans, mais rien non plus, dans ces monts crépus ou arides, ne lui appartenait. Cette chambre, sans lui être hostile, avait la froideur d’une geôle. Il se garda d’imaginer celle qui avait été la sienne à Castelreng : c’eût été accroître son amertume. Et pourtant !… Dans celle de là-bas, l’ordonnance familière était à sa convenance. Les murs y appelaient une seconde présence, un partage et, légitimes ou non, des enlacements. Ici, entre les parois sévères de ce château, il se sentait cloîtré, impuissant. Certes, tous ceux qu’il fréquentait étaient braves : clercs, soudoyers, hommes de l’intendance, mais il semblait qu’en dépit des saints de pierre et de bois qui la peuplaient aussi, cette demeure n’eût point reçu la bénédiction divine. Le spectacle des animations quotidiennes imprégnées d’une sorte de sécheresse vide du moindre émoi – même religieux -, lui prouvait que sa soumission aux rites de l’Église et aux contraintes de la vie profane, pour sincère qu’elle fût, ne cessait de lui coûter tout en lui révélant l’impuissance ou l’imperfection dans laquelle il s’était empêtré. En se noyant dans les immenses vagues du Termenès, il avait cru échapper à l’attention des gens et devenir son fantôme. Or, par une sorte de dédommagement à ses déboires, sa présence n’était point passée inaperçue. Maguelonne n’avait jamais cessé de le voir, de l’imaginer, de parfiler à son sujet des songeries sans nombre. Plutôt qu’un capiteux népenthès, le souvenir de leur rencontre de ce soir allait instiller dans son cœur de vierge énamourée l’acerbe poison du désir.
    Il mâchillait sa tristesse quand ses compères entrèrent. Leurs rires paraissaient forcés, de sorte qu’il s’en crut l’objet.
    – Holà ! dit-il, silence.
    Ils devinèrent que, pour cette vesprée, il s’excluait de leur gaieté, de leurs desseins et de leurs espérances. Dès lors, il n’entendit que des chuchotements qui l’agacèrent plus encore, et des froissements de paille sous des corps qui s’étendaient en l’attente du sommeil.
    Partir bientôt ? Pour aller où ? Il resterait à Villerouge jusqu’à la fin de l’année. Il verrait Maguelonne selon les hasards du temps. Sans espérance abusive, il lui prêtait le caractère doux et gracieux qui avait fait le charme d’Oriabel. Mais à quoi bon se lier à Villerouge puisque sa vie ne prendrait ses dimensions et son sens réel que lorsqu’il serait à Castelreng. Ses compagnons croyaient qu’il n’était maussade que parce qu’il menait une existence paisible et qu’en changeant de pays et d’occupations, il recouvrerait cette assurance et cette alacrité qu’ils lui avaient connues à Gratot. Ils se méprenaient comme il se méprenait lui-même, sans doute, lorsqu’il envisageait son retour sur les lieux de son enfance comme une guérison de sa mélancolie. Une femme, peut-être, pouvait donner à son existence une stabilité, une direction et le plaisir de vivre. Maguelonne pouvait-elle devenir cette compagne ? Elle n’était ni une bourgeoise ni une manante. Rien d’autre qu’une abanière 276 . Mais quelle juvénile beauté !… Et il semblait qu’il fut… Non : il était l’idole de cette princesse des champs. Comment n’eût-il pas admis qu’il se trouvait heureux d’être ainsi encensé ?
    Il la reverrait. Il était repu des aventures promptement menées, hâtivement conclues, vélocement achevées. Le sang de Maguelonne n’avait point cette fureur engourdissante qu’il avait connue chez Aliénor, Francisca, Mathilde et Tancrède. Elle était de la dynastie des femmes sages, donc des épouses dociles, précieuses, faussement nonchalantes, celles dont la volupté résorbée sous les feux des regards ne s’allumait pour flamboyer qu’entre quatre murs et qui, se jouant des pudeurs et des contraintes, savaient aussi bien régner sur des sens que sur une oustal 277 . Jeune, belle, sans une once de graisse, elle conserverait longtemps sa vénusté. Elle résisterait aux enflements disgracieux. Il échapperait à d’orageuses déconvenues dues à l’apparition d’une ride sur un miroir trop éloquent ou d’un cheveu d’argent entre les dents d’un peigne.
    *
    Il la revit le lendemain. Comme la veille, ils cheminèrent hors des murailles. Maguelonne riait avec plus d’assurance. Elle était à l’aise dans sa robe de tiretaine safranée dont

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