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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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les nièces du faouré , leurs visages superposés dans l’échancrure d’une porte ne passèrent point inaperçus. Il feignit une indifférence dont l’homme vêtu de cuir ne fut pas dupe.
    Une fois de retour au château et tandis que Lemosquet et Lebaudy prenaient soin de sa monture, le chevaucheur, Foucaut de Molgueil, consentit à se sustenter. La grande table réunit sur son pourtour Pons de Missègre, Clinquant de Limoux et Fortifiet d’Antugnac, les soudoyers Petiton et Jovelin, Blondelet le portier et Tristan, cependant que Paindorge s’instituait écuyer tranchant.
    – Savez-vous, mon ami, demanda Clinquant de Limoux au messager, ce qui se passe à Paris ? On dit que les routiers vont y déverser – si ce n’est fait – leur pestilence.
    Ses quatre-vingts ans donnaient à ses paroles un chevrotement tel qu’on eût pu croire qu’il avait peur. Or, il ne craignait que Dieu.
    –  Paris ! soupira Molgueil. J’en viens. Tout y remue. Je crains que le roi ne soit fou.
    – Oh ! se récrièrent les clercs.
    – C’est un homme pieux dont on loue la clergie, la sapience…
    Cela, c’était l’opinion de Blondelet. Tristan sourit : le portier n’avait jamais approché Charles V. Il se fiait à ce qu’il avait entendu çà et là.
    Après avoir vidé un plein hanap de vin et langoté ses lèvres, le chevaucheur se pencha vers son vis-à-vis : Tristan.
    – L’Hôtel Saint-Paul et le Louvre sont comme désabusés. Plus de joutes et de tournois, plus de liesses dites inutiles, mais des clercs, des savants, des chevaliers retour de pays étrangers, des bourgeois et une grand’foison de messes… Et puis, pour favoriser le crédit, le rappel des Juifs.
    – Oh ! bronchèrent les religieuses personnes.
    – Ce n’est pas tout, messires. Il faut que je vous dise… Le roi a fait d’Olivier de Clisson un grand capitaine contre ses anciens compères.
    – Hein ? fît Paindorge en cessant de couper des rondelles de saucisson. C’était un ennemi de la France. Je n’ose y croire (424) .
    –  Hé oui ! Le roi s’en est énamouré (425) .
    – Ho ! réprouvèrent les clercs et, cette fois, les soudoyers.
    – Le roi, le savez-vous, a marié le seigneur d’Albret à dame Isabelle de Bourbon, sœur au duc de Bourbon et à la reine de France, à dame Bonne, comtesse de Savoie, duquel mariage il paraît que le prince de Galles est mauvaisement courroucé (426) .
    – Le seigneur d’Albret est un traître, lui aussi. Par Dieu ! enragea Paindorge, ce roi déjà infirme d’une main me semble devenu aveugle. Et même pire !
    – C’est ce que je crois, dit Foucaut de Molgueil en se levant avant même d’avoir achevé la cuisse de géline qu’il avait à peine entamée.
    Il vida son hanap, sécha ses lèvres d’un revers de main qu’il frotta contre sa cotte d’armes grise de sueur et de crasse. Jetant un regard sur les convives soudain muets, indécis et peu enclins à retenir ce porteur de sombres nouvelles, il sourit avec un soupçon de condescendance :
    – Je vous regracie de m’avoir si bonnement conjoui (427) . Le temps presse. Je n’aurai point le front de vous dire : « Dieu vous garde », puisque vous êtes des clercs, mais je vous souhaite à tous une belle et longue vie.
    Il s’éloigna sans que quiconque eût fait un mouvement pour l’accompagner.
    Lorsque Paindorge, enfin, eut refermé la porte et qu’on eut entendu, sur le pavé, le crépitement des sabots ferrés, Clinquant de Limoux se pencha vers le bayle :
    – Nous faut-il aviser monseigneur de la Jugie ?
    – Évidemment ! s’empressa Pons de Missègre.
    – Soit ! dit Fortifiet d’Antugnac.
    – Je n’ai qu’un coffre plein, dit enfin le bayle. Mieux vaut engager sa vie une bonne fois qu’en plusieurs…
    – Et préserver deux coffres au lieu d’un, dit Paindorge.
    – Alors, dit le bayle, nous irons à Narbonne en novembre.
    Ni Tristan ni Paindorge n’osèrent demander quand se situerait ce départ.
    L’existence continua, tantôt douce auprès de Maguelonne, tantôt désagréable quand il fallait, surtout aux jours aliturgiques (428) percevoir des manants et loudiers, les fonds de l’acapte, de la reracapte, les aides, l’allivrement, la banalité, la capitation et tant d’autres obligations (429) auxquelles certains mal heureux se soumettaient par la menace. «  Voulez-vous goûter aux tranchants des épées qui sont là ? » demandait le bayle en désignant les armes

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