Le pas d'armes de Bordeaux
demandes. Une fois sur le bord du chemin, elle releva le devant de sa robe pour en ôter les gros grains poilus, tenaces, dont l’adhérence lui fit émettre, à chaque extraction, des soupirs dont Tristan ne sut s’ils étaient d’aise ou d’agacement. Il voyait, jusqu’au-dessus des genoux, des jambes blanches où quelques veines imperceptible ment bleues montaient vers des mystères. Elle s’était reculée avec prudence ; à moins qu’elle n’eût agi afin qu’il la vît mieux.
– Je vais t’aider.
Cette fois, il mit un genou en terre, tirant sur les petits oursins verts émoussés de violet dont les cardes, parfois pénétraient dans ses doigts. Maguelonne le laissait s’ingérer peu ou prou dans l’étroite intimité de son vêtement, ne sachant comment endormir sa pudeur ou sa circonspection. Son silence attentif fortifiait l’audace de Tristan ; et quand sa main, cessant d’échardonner, toucha intentionnellement la cheville, remonta, lente et prudente, jusqu’au genou, aucun reproche ne l’empêcha d’aller plus haut, vers des douceurs et tiédeurs qu’il ne fit qu’effleurer en relevant les yeux vers un visage dont la pâleur, plutôt que de la contention, semblait dénoncer de l’angoisse.
Maguelonne ne souriait plus. Elle tremblait. Son souffle s’était accru. Tristan l’imagina couchée dans l’herbe, acceptant qu’il remontât sa robe et même l’en séparât avec une audace feutrée qu’elle eût approuvée.
« Les mêmes gestes qu’avec les autres. »
Bien qu’il fût saturé par ces prologues toujours pareils, il prendrait à ceux-là un plaisir des plus rares.
– Non, dit-elle, messire, en repoussant la main dont sa toison n’empêchait pas la fraîcheur.
Elle pirouetta pour le plaisir de voir baloier 283 sa robe et d’effacer l’émoi qu’elle avait éprouvé. Tristan s’accorda un répit. Il se sentait admis comme maître et complice à condition de suspendre ses assauts pour donner à la jouvencelle envie d’être assaillie. Déjà, elle était plus encline à rire, plus confiante et comme ennoblie par ses récentes audaces. Il lui en avait fallu pour céder à ses propres tentations.
Le lendemain, il la connut davantage. Ils s’étaient assis sous un arbre. Puis couchés. Elle avait accepté d’être touchotée. Sans plus. Elle respirait à grands traits, les yeux clos comme le reste de son corps. L’ayant baisée sur le bout du nez, il demanda :
– Et si je t’emmenais à Castelreng ?
– Il vous faudrait m’épouser. Vous n’êtes pas si grand seigneur pour craindre un formariage 284 .
D’autres se fussent courroucés. Pas lui : elle disait vrai. Cependant, pour qu’elle vécût auprès de lui à Castelreng, il fallait que le château lui appartînt dans son entièreté. Autrement dit : qu’il fût vidé d’Aliénor, d’Olivier et d’une domesticité à leur dévotion.
– J’y penserai, dit-il. N’aie crainte. Je vais continuer de servir l’archevêque.
– Il vous paie bien ?
Passait-il pour riche comparé à un Pierre Massol ?
– Point trop, mais il me nourrit ainsi que mes hommes (423) .
Il eut envie d’ajouter : « Nous sommes pauvres » pour lui prouver qu’il n’était pas inaccessible. C’eût été l’encourager à des songeries qu’il n’osa lui déconseiller.
– Vous êtes bon, dit-elle après une hésitation. C’est ce qu’on dit.
– Qui ?
– La Pitioune… Celle qui va nettoyer certains jours les logis… Elle demeure au bout du village… Si vous ne l’avez jamais vue, elle, elle a su vous voir.
– Eh bien, regracie-la pour sa bienveillance !
L’été se passa sans que Maguelonne lui eût concédé d’autres privautés que celles qui n’attentaient point à son intégrité 285 . Sans que rien n’eût changé dans la vie du bayle, de Pons de Missègre et des clercs de Villerouge, les grosses chaleurs régnèrent despotiquement. Maguelonne demeurait fraîche, suave, soyeuse comme l’eau du Lou et les mousses de ses rives.
VI
Un chevaucheur qui, parti de Pamiers, gagnait Avignon au plus court, fit à Villerouge, le dimanche 24 septembre, une halte dans la maréchalerie de Pierre Massol. L’oncle de Maguelonne fut amené à déclouer de la jambe arrière d’un cheval époumoné, un fer dont l’ajusture méritait d’être aplatie.
Tristan avait accompagné le messager chez le fèvre. Il fut heureux d’y être aimablement reçu. S’il ne vit point
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