Le pas d'armes de Bordeaux
table, le prince Édouard leur avait fait la leçon.
– Et Hugh ?… Qu’a-t-il dit ?
– Le prince lui a proposé d’être du pas d’armes. Il a refusé.
– Dame Tancrède ?
– Messire Hugh m’a prié de vous dire que, prenant prétexte d’une migraine, elle est partie au premier entremets. Des hommes d’armes l’ont accompagnée jusqu’à sa demeure.
– Où est-ce ?
– Je n’en sais rien.
Était-ce vrai ? Shirton et son compagnon s’en allèrent.
– Vérifions nos plates 57 , dit Tristan à son écuyer, déjà occupé à les disperser sur le sol. Nous les fourbirons ensuite.
Ils procédèrent à l’examen des étuis de fer protecteurs des bras et des jambes et mirent un soin particulier à la vérification des cubitières et des genouillères qui laissaient libre jeu aux articulations. Les épaulières avaient subi des coups à Nâjera. Paindorge put se procurer un marteau, et bien qu’il ne fût pas un fèvre, il leur restitua leur courbure en prenant pour appui une enclume de la maréchalerie utilisée par les palefreniers de Calveley.
Les canons d’avant et d’arrière-bras, les cuissots, genouillères et trumelières de l’armure de Tristan étaient intacts. Les pédieux, composés de lames de fer à recouvrement afin que le pied se pliât aisément, avaient perdu quelques rivets : les hommes de Calveley leur en fournirent et l’un d’eux, Aylward, se proposa de les fixer. Les bassinets avaient subi des coups, en particulier sur leur timbre. Aylward les gironna et remplaça les vervelles par lesquelles se relevait la visière.
– Pourquoi nous aides-tu ? lui demanda Paindorge.
L’Anglais qu’un matras 58 génois ou français avait déhanché lors d’une bataille en Bretagne, refusa de fournir la moindre réponse à l’écuyer qui, pourtant, insistait. Sans doute souhaitait-il que quelques-uns des prud’hommes du prince Édouard fussent jetés à terre. C’était, en vérité, la seule conjecture acceptable.
Les cuirs des épaulières et ceux qui fixaient les tassettes à la braconnière, furent oints d’axonge et recouvrèrent leur souplesse. Enfin, si les courts gippons de mailles fines destinées à protéger le bas-ventre étaient quasiment intacts, les vêtements de bourras destinés à amortir les coups présentaient des déchirures. Aylward se procura du fil et des aiguilles.
– Dieu vous garde, dit-il, quand son aide prit fin.
Tristan et Paindorge échangèrent un clin d’œil.
– En voici un, dit l’écuyer, qui dut être meshaigné par un prud’homme de la Grande Ile. Il veut se venger sur toute l’espèce.
– Je demanderai à Hugh qu’il nous le prête dimanche. L’Hercule nous accordera bien cette faveur.
Ils fourbirent chacun son armure avec quelques poignées de drilles (360) trouvées à l’écurie. Faute de sable fin, ils humectaient ces lambeaux de braies et de chemises et les imprégnaient de terre avant de frotter les pièces plus ou moins ternies. Parfois, en s’aidant de leur dague, ils effaçaient des taches et criblures de sang.
La besogne accomplie, ils réunirent sur un carré d’herbe les éléments de leurs habits de fer.
– On dirait des gisants, nos gisants, marmonna Paindorge.
– J’espère, Robert, que nous ne gésirons pas ainsi à la fin des joutes ou du pas d’armes.
Tristan cessa de contempler ces écorces de fer pareilles à des chevaliers victimes d’un sortilège.
– Nous étions, à leur enveloppe, ce que notre cervelle est à notre crâne. Allons, Robert, nous allons maintenant nous exerciser avec des épées de bois.
– Nous n’en avons point.
– Va demander deux lattes à Aylward. En quelques coups de dague nous forgerons ces armes !
L’écuyer s’en allait. Tristan le retint par sa ceinture :
– Avant, nous allons réparer Teresa. Tu le sais, elle s’est un tantinet disjointe à Nâjera. Comme je me défendais contre un Anglais, la fusée s’est mise à branler dans la prise. Prends-la.
Paindorge saisit l’épée dans l’herbe et la tira du fourreau. Après qu’il eut secoué l’arme en tous sens et remué les quittons, la conclusion de son examen coïncida avec celle de Tristan et d’Aylward :
– Peu de chose, messire.
L’écuyer admira la fine lame d’un acier dur et roide qui empruntait sa rigidité à la haute arête médiane d’où partaient les talus dont la jointure formait les tranchants. L’estoc aigu portait des rouillures de
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