Le pas d'armes de Bordeaux
sang.
– Je la fourbirai, messire.
La croisette des quillons intéressa l’écuyer moins que le pommeau qu’il compara à un petit ciboire. Comme Aylward s’éloignait à l’appel d’un compère, Paindorge toucha de l’index la tête de l’épée.
– Cette grosse bille, messire, contient-elle comme c’est souvent l’usage, une relique sacrée ?
– Non, Robert. Elle est pleine d’une poudre homicide.
– Ah ! Bon.
– J’attendais l’occasion de te le révéler.
L’écuyer écrasa un rire entre ses dents.
– Ce Pedro del Valle est un malicieux.
– Certes.
– Ce présent est digne d’un roi… Je veux parler de Teresa, pas de la poudre.
– Teresa est et sera une épée vengeresse : par l’allumelle 59 ou le pommeau.
– Certes… Seulement, messire, pour réparer cette épée, il vous faut enlever cette burette.
– Un tour sur le côté… C’est simple.
Le geste accompli, Tristan eut le précieux récipient dans sa paume.
– On dirait un œuf de géline.
– Malheur, Robert, à qui le gobera.
– Je pense à quelqu’un.
– Il se pourrait que ta pensée soit mienne… En attendant, je te confie cette merveille. Pose-la sur le rebord de la fenêtre. Pour mon épée, fais-toi aider par Aylward. Il n’attend que cela.
Accoté au cantalabre du seuil de l’écurie attenante à la maréchalerie l’Anglais, de retour, n’avait cessé d’observer les deux otages.
– Viens ! dit Paindorge. J’ai besoin de ta science. C’est vraiment une iniquité que tu sois né Anglais !
Et se détournant :
– Où allez-vous, messire ?
– Étriller Malaquin et si j’en ai le temps, ton genet.
– Messire ! Messire !… Ce n’est pas à vous de soigner mon cheval !
Tristan, d’un geste, éloigna la protestation.
– Cesse de me donner du messire !… Au point où nous en sommes, Robert, il n’y a pas plus de chevalier que d’écuyer. En dépit de la confiance dont m’abreuve Calveley, nous sommes deux prisonniers menacés de mort. Si nous l’évitons en champ clos, elle pourra nous prendre en ville.
– Et vous voulez toujours qu’on se mesure à l’épée ?
– Toujours, et férocement. C’est l’unique façon de devenir les meilleurs.
Jamais Tristan n’avait été aussi sérieux. Il se sentait une capacité d’action, une énergie, une force d’esprit toutes neuves. La contemplation de Teresa, sa beauté, sa fermeté, le fait qu’elle eût un nom et qu’elle fût tolédane l’avaient revigoré. Jamais vision plus claire de son devenir ne l’avait hanté. Il ne pouvait s’empêcher de penser que chez les plus grands jouteurs et bataillards de France, d’Angleterre et d’ailleurs, des gestes imparfaits causaient parfois leur perte.
– Mettrons-nous nos armures pour nous réaccoutumer à leur pesanteur ? interrogea Paindorge qui laissait Aylward examiner Teresa.
– Non.
– Soit… Je préfère… Il sera bien temps, dimanche, de nous reconvertir à la guerre.
C’était bien dit. Qu’eût-il pensé, Paindorge, songea Tristan, s’il lui avait fait ses confidences ? S’il lui avait révélé qu’ils vaincraient parce qu’ils le méritaient. Tout simplement.
*
Cette nuit-là, Tristan ne dormit toujours pas. Les soins minutieux donnés à son armure, puis la longue et feinte bataille livrée contre un Paindorge aussi prompt à l’assaut qu’à la défense l’avaient plongé dans un état d’excitation fiévreuse. Le sommeil l’en eût guéri si ses pensées ne l’avaient maintenu dans un état inattendu de déception et d’expectative. Toute la journée, il avait espéré la venue de Tancrède.
Même brève, l’apparition de la cousine d’Ogier d’Argouges eût sublimé sa confiance en lui-même. Il avait grand besoin qu’elle crût en sa force et en sa bachelerie 60 comme elle avait cru en celles de son cousin : le dimanche 19 de ce mois de septembre ensoleillé – dans deux jours – serait le plus dangereux de son existence. Pour quelle raison s’était-elle abstenue de le visiter ?
À supposer que quelqu’un ou un incident inopiné eût contrarié son intention de le revoir, il lui devinait suffisamment d’imagination pour esquiver toutes sortes d’inconvénients d’un prétexte ou d’un sourire. Ne semblait-il pas que d’un effacement de la hanche ou d’une simple et nonchalante torsion du corps, elle pouvait déjouer les obstacles les plus fortuits ? « Elle viendra »,
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