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Le peuple du vent

Le peuple du vent

Titel: Le peuple du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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et, au fur et à mesure, les entailles laissées par sa lame dans la chair de l’arbre s’effaçaient... Il émergea épuisé de son rêve, avec l’impression étrange qu’il était plus vrai que sa vie.
    Ses yeux parcoururent la chambre qu’il partageait avec Hugues : des murs passés à la chaux, des clous pour suspendre vêtements de voyage et armes, un coffre, deux paillasses recouvertes de couvertures, un brasero. Un lieu aussi austère qu’une cellule de moine.
    Hugues dormait encore. Mais Tancrède savait que son sommeil était si léger que le moindre craquement suffirait à le mettre en alerte. Le manche ouvragé de son poignard dépassait de sous l’oreiller.
    Il repensa à sa rencontre avec le moine blanc. « Vous irez loin, fort loin, avait-il dit, par terre et par mer, vers des pays où l’on parle d’autres langues que la nôtre, où l’or et l’argent tapissent les murs, où les femmes sont si belles qu’on les enferme, vous serez prince parmi les princes, et mendiant aussi... »
    La veille au soir, son maître et lui avaient pris leur repas avec le seigneur et sa famille et Tancrède n’avait pas eu le temps de répéter ces singulières paroles à Hugues. « Prince parmi les princes, et mendiant aussi. » Aubré savait-il quelque chose sur son passé ou était-il de ces gens qui voient les chemins de la destinée ?
    Un étrange repas que celui de la veille. Lugubre, où chacun s’observait, se guettait, hésitait à parler, où le silence s’alourdissait au fil du temps qui passait.
    Serlon avait mangé les sourcils froncés et, pour la première fois depuis leur arrivée, même la présence d’Hugues de Tarse ne l’avait pas déridé.
    Sigrid était restée silencieuse et Randi n’avait eu d’yeux que pour son amoureux. Quant à ce dernier, il n’avait touché à rien. Il avait bu son vin coupé d’eau en dévisageant son père que son insistance avait fini par mettre hors de lui et qui l’avait chassé. Mauger était parti en claquant la porte, laissant derrière lui Clotilde qui avait poussé des hurlements déchirants et qu’un serviteur avait fini par emmener pour l’enfermer dans sa chambre. Excédé, Ranulphe avait prévenu son beau-frère que, sitôt le corps de sa femme en terre, ils rentreraient chez eux en pays d’Houlme...
    Le cours des pensées du jeune homme se détourna de la soirée.
    Le glas résonnait à nouveau, faisant gronder les chiens dans la salle d’armes. Dans la basse-cour grinçait la carriole sur laquelle les serviteurs chargeaient le cercueil. Aux écuries, les écuyers devaient déjà seller les destriers et les garçons d’écurie sortir les chars à bancs.
    Hugues ouvrit les yeux et Tancrède comprit qu’il était réveillé depuis un moment et élaborait de ces pensées complexes dont il l’entretenait souvent le jour venu.
    Mais ce matin-là, l’Oriental garda le silence, répondant à son salut par un signe de tête préoccupé.
    Il avait repoussé ses couvertures et posé ses pieds sur le sol. Malgré ses quarante ans passés, son corps nu était celui d’un homme que l’entraînement guerrier avait façonné et dont la chair gardait la musculature et les multiples cicatrices.
    — Allez debout ! ordonna-t-il en s’étirant.
    Comme en répons, le chant du coq retentit. Tancrède se leva à son tour et s’approcha de la meurtrière dont il repoussa le volet intérieur.
    Un frisson courut sur sa peau mate. Il s’habilla, tout en cherchant en vain à discerner la mer à travers le brouillard qui enserrait le château.
    Le soleil se levait à peine et perçait la brume par endroits, éclairant la lande blanche de givre qui venait mourir à une lieue des remparts.

22
    Une heure bientôt que le convoi mortuaire avait quitté Pirou pour gagner la route menant de Coutances à Lessay.
    Le soleil s’était levé et frappait les ailes blanches des moulins. Au-dessus des marais, le brouillard semblait retenu par d’invisibles ancres. Il y flottait aussi solide et dense qu’une étole de drap clair.
    La carriole transportant le cercueil était précédée de frère Baptiste levant haut la bannière bleu sombre du deuil. Dans les chariots à bancs tirés par des boeufs qui le suivaient se tenaient assis, raides et muets dans leurs habits propres, femmes, enfants et vieillards.
    Derrière venait une file de gens à pied où se reconnaissaient les silhouettes du vieux Sven, de Bjorn et, fermant la marche, enveloppé de son vaste

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