Le peuple du vent
Ranulphe.
— Nous vous écoutons.
— Voilà, quand les barons sont venus, le sire d’Aubigny a dit avoir rencontré le sire de l’Épine au château des Tancarville...
— Continuez, l’encouragea l’Oriental.
— Et celui-là a protesté qu’à l’époque en question, il était dans son manoir. Hors, Mauger est formel, son père était bien au château des Tancarville cette semaine-là.
— C’est vrai que l’intervention de d’Aubigny l’a quasiment mis en colère, se rappela Hugues. Merci, Tancrède.
Le jeune homme se rassit. L’Oriental se tourna à nouveau vers la gamine.
— Bon, revenons à ta maîtresse. C’est donc toi qui la soignais ?
— Oui, messire.
— On m’a dit que son remède venait d’une femme de ton pays.
La petite grimaça mais ne répondit pas. Elle croisa ses bras maigres sur sa poitrine et garda un air buté.
— Tu veux la pièce ?
— Oui, messire !
— Alors dis-moi ce que tu sais de celle qui a fabriqué cette potion.
— C’est que j’I’aime pas bien, savez !
— Cela ne fait rien. Parle.
— L’est plus sorcière que miresse. Elle a été la nourrice à mon maître, y paraît. Elle fait peur. On raconte des choses sur elle.
— Quelles sortes de choses ?
— L’habite dans les marais avec les crapauds et les serpents. Une cahute noire comme la nuit où dorment les chauves-souris et les chouettes. J’y suis allée des fois et j’avais les jambes toutes molles à entrer là-dedans. Savez, celle-là, plus souvent les gens vont la trouver quand ils veulent du mal aux autres.
— Je vois... Elle a donc fait un remède pour la dame de l’Épine. Et qui lui a demandé de le faire ?
— Le seigneur de l’Épine.
— Et pourquoi ? Qu’avait donc ta maîtresse ? Elle était souffrante ?
La petite réfléchit.
— J’me souviens plus bien... C’était après l’Épiphanie, une chute de cheval.
— L’Épiphanie, répéta Hugues en se souvenant du récit de d’Aubigny. Donc ta maîtresse a été grièvement blessée ?
— Oh non, messire ! L’avait juste les membres froissés et des bleus partout sur le corps, mais elle allait bien. L’était solide, avant...
Au souvenir de celle qu’elle avait perdue, les larmes étaient remontées dans les yeux de la fillette.
— Donc, à partir de là, elle a pris le remède de la vieille, répéta Hugues. Comment s’appelle-t-elle, déjà ?
— Oh, on l’appelle pas vraiment, messire ! On dit la Noiraude ou la vieille des marais.
Bien qu’il connût déjà la réponse, l’Oriental demanda :
— Est-ce que sa médecine a fait du bien à ta maîtresse ?
— Oh, non, pas vraiment, elle somnolait souvent. Et puis elle a commencé à maigrir, à plus vouloir rien avaler. À avoir ses mauvais rêves.
— A-t-elle voulu arrêter ?
— Oui, plusieurs fois. Mais mon maître l’était point d’accord.
— Je ne savais pas tout ça, marmonna Bertrade avec horreur. Pourquoi ne m’as-tu rien dit, la Roussette ? J’aurais compris qu’il y avait là quelque maléfice. Ma pauvre petite !
Au fur et à mesure de l’interrogatoire, le visage de Serlon s’assombrissait.
— Silence, Bertrade ! ordonna Hugues. Je vous questionnerai ensuite. Donc, elle a continué. Elle en prenait beaucoup ?
— Oh, non, faut dire presque rien, surtout au début. Et rien qu’une fois par jour. Avant de partir pour ici, l’a fallu que j’retourne voir la Noiraude.
— Pourquoi ?
— Le maître a dit qu’y fallait lui demander si fallait changer le remède.
— Et ensuite ?
— J’ai eu un nouveau flacon et je pouvais lui en donner deux fois.
— Et vous êtes venus ici ?
Encore un hochement de tête.
— Une dernière chose. Est-ce que tu peux m’apporter cette fiole ?
— J’la rangeais dans une panière de paille dans le coffre à ma maîtresse, doit y être encore. Si vous voulez, j’vas vous la chercher.
— Oui, fit Serlon. Mon sergent va t’accompagner. Fais vite, nous t’attendons.
La petite sortit, suivie de l’homme d’armes. Le silence retomba, un silence que nul ne rompit. Pas même la vieille nourrice qui s’était tassée sur son siège. Enfin, on entendit à nouveau les pas pressés de la Roussette suivis de ceux plus lourds du soldat.
La gamine avait l’air désespérée.
— Le panier est vide, messire ! J’ai cherché partout, mais j’ai rien trouvé et lui non plus, fit-elle en désignant l’homme
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