Le peuple du vent

est vengée. Enfin. Dieu l’a vengée. L’homme de paix que j’ai choisi d’être priera pour le repos de l’âme de l’assassin, le guerrier que j’aurais pu être trouve encore sa mort trop douce.
    Il remit sa capuche.
    — Je vous croyais déjà parti pour Savigny, mon frère, observa Tancrède.
    — Non. Pas tant que l’assassin n’avait pas payé, et puis j’ai encore à faire dans ce pays.
    — Est-ce vous qui l’avez tué ? murmura Tancrède si bas que seul le frère l’entendit.
    — Non, mon fils. Non ! Vous vous égarez, je suis un homme de Dieu, c’est SA colère qui l’a tué !
    — Pardon, mon frère, pardon. Vous ne nous accompagnez pas ?
    Aubré le regarda, pensif.
    — Oui, peut-être est-il temps. Vous avez raison.
    — Que voulez-vous dire par « peut-être est-il temps » ?
    — Sigrid ! s’exclama le moine comme s’il venait de s’apercevoir de sa présence. La fille aînée ! Voilà une descendance qui ne doit guère convenir à Serlon, lui qui ne rêvait que de mâles robustes pour lui succéder ! Il ne lui reste que deux pucelles.
    — Qui êtes-vous pour parler avec autant de familiarité des miens ? s’indigna la jeune fille. Si vous n’étiez religieux, cela mériterait le fouet.
    — Tel père, telle fille ! s’exclama le moine en partant d’un rire sans joie. Qui je suis ? Vous le saurez bien assez tôt. Allons, il ne fait pas bon traîner sur la lande avec un cadavre, cela pourrait éveiller les goubelins et autres diaboliques créatures.
    Ils repartirent donc, le moine marchant devant eux à grandes enjambées.

45
    Hugues, que les guetteurs avaient prévenu, les attendait sur le pont-levis menant à la basse-cour.
    — Salut à vous, damoiselle Sigrid.
    — Salut à vous, messire de Tarse. Mon père est-il rentré ?
    — Non, pas encore.
    L’Oriental se tourna vers Tancrède :
    — C’est le cadavre de Bjorn ?
    — Non, celui de Ranulphe.
    — Je m’en doutais. Son destrier vient de rentrer à l’écurie. L’animal était effrayé et portait de bien étranges traces sur l’encolure et la selle. Des traces de brûlures.
    Des garçons d’écurie et des soldats s’attroupaient autour d’eux.
    — Vous m’expliquerez tout cela quand nous serons à l’abri des regards... et des oreilles, ajouta-t-il. Les gens sont assez ébranlés par la mort de Muriel et par celle du vieux Sven. Pas la peine d’en rajouter.
    — Vous avez porté le corps de Sven à la chapelle ?
    — Oui. Et quand j’ai vu que vous reveniez avec une civière, j’ai demandé à Bertrade de nous rejoindre. Mais j’aimerais examiner ce cadavre avant son arrivée. Venez.
    — Je vous laisse, fit Sigrid en tournant bride. J’ai à faire.
    Et elle partit au petit trot vers les écuries.
    Une fois le corps installé sur la table de l’infirmerie, Tancrède fit part de ses observations à son maître qui palpa les chairs et réussit à extraire une troisième et dernière pointe de flèche qu’il rangea à côté des deux premières.
    — Allez me chercher Jehan, voulez-vous ?
    Tancrède sortit, croisant au passage la vieille Bertrade, un panier de linge calé sur sa hanche.
    — Le bonjour, Bertrade.
    — Le bonjour, fit la vieille.
    Puis avec un air entendu :
    — Vous êtes plus frais que la veille en cuisine.
    Elle laissa le jeune homme muet sur le seuil et rejoignit l’Oriental près de la table. Un linceul recouvrait le cadavre.
    Un de plus, fit-elle tristement. Dire qu’il y en a qui se réjouissent quand de plus jeunes qu’eux meurent, savez ? C’est notre Bjorn qu’est là-dessous ? L’a rejoint son vieux père au paradis des pêcheurs ?
    — Non, c’est Ranulphe de l’Épine.
    — La bête, le garou, le diable... Il aurait dû mourir avant elle. Faut qu’je fasse sa toilette ?
    — Je croyais, mais non, pas vraiment, fit Hugues en soulevant le drap. Voyez ! Il va juste falloir lui trouver des vêtements.
    La vieille écarquilla les yeux :
    — Pour ça, oui, l’est arrangé. L’est tombé dans l’feu ?
    — On peut dire ça comme ça.
    — J’vais pas le plaindre, l’a mérité sa souffrance. J’ai ce qu’y faut dans mon panier, comme y partait pas, la Roussette m’a donné son linge.
    — Je vais vous laisser faire votre ouvrage, mais d’abord je voulais parler avec vous, Bertrade.
    Et l’Oriental entraîna la grosse femme vers les bancs où il la fit asseoir.
    — Z’allez encore me questionner comme