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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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qui a été le premier à entonner l’air, ni
pourquoi c’est cette chanson de soldat qui lui est venue à l’esprit. En tout
cas, nous avons joint notre voix à la sienne. Le principal était d’obéir.
    C’est seulement aujourd’hui, en repensant à la scène, que je
m’aperçois à quel point le cocasse se mêle souvent à la tragédie. Car en cette
nuit de réveillon une poignée de Juifs exténués descendaient les rues d’une
cité où les manifestations de patriotisme polonais étaient punies de mort
depuis des années en chantant à pleins poumons, et en toute impunité, l’hymne
si évocateur de la conscience nationale polonaise : «  Hej, strzelcy
wraz ! » , « Ohé, francs tireurs, debout ! ».

12

Majorek
    Premier janvier 1943. L’année où les Allemands allaient être
vaincus, selon l’engagement solennel exprimé par Roosevelt, avait commencé et
en effet ils semblaient nettement moins invincibles, désormais. Si au moins
nous avions été plus près de la ligne de front ! La nouvelle de la défaite
nazie devant Stalingrad est tombée et cette fois c’était un événement trop
grave pour qu’il soit étouffé, ou relativisé avec la formule journalistique d’usage
selon laquelle même lui n’aurait eu « aucune influence sur le
développement positif du conflit ». Non seulement ils ont dû reconnaître
leur déroute, mais ils ont également décrété trois jours de deuil, le seul
moment de repos dont nous ayons bénéficié depuis des mois. Les plus optimistes
d’entre nous se frottaient les mains en jubilant, certains que la fin de la
guerre était imminente. Les pessimistes divergeaient sur un seul point : ils
croyaient que les hostilités allaient encore durer, même s’il ne subsistait pas
l’ombre d’un doute quant à leur issue.
    À l’unisson des nouvelles de plus en plus encourageantes qui
nous parvenaient du reste du monde, les organisations clandestines du ghetto
ont intensifié leurs activités. Mon groupe y participait aussi : Majorek, qui
nous rapportait chaque jour de la ville des sacs de pommes de terre, dissimulait
sous les légumes des munitions que nous répartissions entre nous et que nous
faisions entrer dans le ghetto cachées sous le pantalon, le long des jambes. C’était
là un risque très sérieux, qui un jour a failli se terminer en tragédie pour
nous tous.
    Majorek était venu déposer les sacs à mon entrepôt comme à
son habitude. Je devais les vider, mettre les munitions en lieu sûr puis les
partager avec mes compagnons le soir venu. Mais il venait à peine de s’en aller
que la porte s’est rouverte brutalement et que l ’Untersturmführer Jung a
surgi. Ses yeux ont erré dans la pièce avant de tomber sur les sacs. Il est
allé à eux d’un pas décidé. J’ai senti mes genoux menacer de se dérober sous
moi : s’il s’apprêtait à inspecter leur contenu, nous étions tous perdus. Et
je serais le premier à recevoir une balle dans le crâne.
    Il a essayé d’en ouvrir un, en effet, mais les nœuds de la
corde étaient trop serrés. Le SS a laissé échapper un juron en se tournant vers
moi.
    « Ouvre-moi ça, toi ! »
    Je me suis approché en faisant tout pour masquer mon anxiété.
J’ai commencé à dénouer le lien avec une lenteur délibérée, des gestes calmes
en apparence. Les poings sur les hanches, l’Allemand m’observait.
    « Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ?
    — Des pommes de terre. Nous avons l’autorisation d’en
rapporter une certaine quantité chez nous tous les jours.
    Le cordon défait maintenant, Jung a enchaîné sur un autre
ordre :
    — Vide-le et montre ! »
    J’ai plongé ma main dans le sac, sidéré par ce que je
sentais sous mes doigts. Le sort avait voulu que Majorek ait trouvé ce jour-là
quelques haricots et une petite quantité de millet. Les pommes de terre étaient
dessous. À contrecœur, j’ai sorti une poignée de mange-tout assez longs.
    « Des patates, hein ? Il a émis un petit rire
méprisant. Cherche encore ! »
    Cette fois, j’ai exhumé un petit tas de millet. Le SS allait
sans doute m’infliger une sévère correction pour avoir osé lui raconter des
balivernes. C’est ce que j’espérais, d’ailleurs, en me disant qu’il en
oublierait peut-être ce maudit sac… Mais non, pas même une gifle ! Il a
tourné les talons et il a disparu. Quelques minutes plus tard, il s’est à
nouveau rué par la porte comme s’il avait voulu me surprendre au

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