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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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l’équilibre.
Tombé en avant, j’ai dévalé en boule une moitié d’étage, entraînant le mort
dans ma chute. Quand je me suis relevé, le cadavre était derrière moi et j’ai
pu continuer à descendre sans encombre. Arrivé au rez-de-chaussée, je me suis
glissé dans la cour, qui était entourée d’un petit mur couvert de lierre. À
deux mètres de l’immeuble en feu, il y avait un renfoncement dans lequel je me
suis avancé, puis je me suis dissimulé derrière un camouflage improvisé de
vrilles, de feuilles et de plants de tomate qui poussaient dans les parages.
    La fusillade ne s’était pas calmée, loin de là. Des balles
sifflaient par-dessus le mur et j’entendais des Allemands crier de l’autre côté,
sur le trottoir. Vers le soir, la façade que j’avais en face de moi a commencé
à se lézarder. Si le bâtiment qui m’avait abrité s’effondrait, j’allais être
enterré vivant sous les décombres mais j’ai tout de même attendu qu’il fasse
sombre avant de bouger. Je devais encore me rétablir de mon intoxication de la
nuit précédente.
    Revenu dans la cage d’escalier à la nuit tombée, je n’ai pas
osé monter les marches. Les appartements brûlaient autant qu’en début de
journée et les flammes avaient peut-être atteint mon étage, depuis… Je me suis
creusé la tête à la recherche d’une autre solution, jusqu’à trouver celle qui m’a
paru la meilleure : le grand hôpital de l’autre côté de l’allée
Niepodleglosci, cette bâtisse inachevée qui avait été transformée en entrepôt
de la Wehrmacht. C’est là que je devais essayer de me réfugier.
    J’ai gagné la rue par la sortie de service de l’immeuble. À
cause de la lumière rougeoyante des incendies, l’obscurité n’était pas complète.
La large chaussée était jonchée de cadavres, parmi lesquels celui de la femme
que j’avais vue se faire faucher par les balles au deuxième jour du soulèvement.
Je me suis couché à plat ventre et j’ai commencé à ramper en direction de l’hôpital,
en m’arrêtant très souvent car des soldats allemands passaient sans cesse, isolés
ou en groupes. À chaque fois, je faisais le mort, suffoqué par la puanteur des
corps en décomposition, qui se mêlait à l’odeur âcre des brasiers. Dès que je
le pouvais, je reprenais mon avance, mais j’avais l’impression que je ne serais
jamais capable d’atteindre l’autre côté de l’avenue. Au bout de ce qui m’a paru
des heures, je suis enfin arrivé au bâtiment sombre et désert. J’y suis entré
par la première porte qui s’est présentée à moi, je me suis recroquevillé dans
un coin et je me suis endormi instantanément.
    Au matin, je suis parti dans une prudente exploration des
lieux. Ce que j’ai découvert ne m’a pas rassuré : entassés partout, des
lits, des matelas, des ustensiles de cuisine, de la vaisselle, des objets de la
vie courante que les Allemands devaient venir souvent chercher là. Rien à manger,
par contre. Dans le coin le plus retiré, un débarras encombré de vieux poêles, de
tuyaux et de ferraille m’a semblé la cachette la plus sûre. C’est là que j’ai
passé les deux journées suivantes. Le 15 août, selon mon calendrier de poche, que
j’avais gardé avec moi et sur lequel j’allais ensuite cocher soigneusement les
jours, la faim est devenue si intolérable que j’ai décidé de me risquer dans
les couloirs à la recherche d’un peu de nourriture. Ma quête n’a rien donné.
    À un moment, je me suis hissé sur l’appui d’une fenêtre
bouchée par des planches et j’ai observé la rue par une fente. Des essaims de
mouches s’agglutinaient aux cadavres restés sur la chaussée. Un peu plus loin, au
coin de la rue Filtrowa, il y avait une villa que les habitants avaient inexplicablement
pu continuer à occuper. Ils étaient sur leur terrasse, en train de boire du thé,
une image irréelle de normalité dans ce quartier dévasté. Un détachement de
soldats de Vlassov [3] conduits par des SS est
arrivé de la rue du 6-Août. Ils ramassaient les morts, les jetaient en tas et
les faisaient brûler après les avoir arrosés d’essence.
    Soudain, j’ai entendu des pas qui se rapprochaient dans le
couloir. Je suis descendu sans bruit de la fenêtre et je me suis caché derrière
une caisse. Un SS est entré dans la pièce où je me trouvais. Il a jeté un
rapide regard à la ronde et il a disparu. Dès que le silence est revenu, je me
suis glissé

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