Le pianiste
dans l’escalier et je suis remonté me tapir dans mon débarras. Mais
peu après c’est toute une unité SS qui a pénétré dans l’immeuble et qui a
entrepris de le passer au peigne fin. L’oreille tendue, je suivais leur avance.
Ils riaient, plaisantaient, sifflaient, et bientôt la question capitale a fusé
de l’autre côté de la porte : « Bon, on a regardé partout, alors ? »
Ils ne m’ont pas trouvé.
Deux jours plus tard, soit cinq avec le ventre complètement
vide, je suis reparti en quête d’un bout de pain et d’un peu d’eau. Il n’y
avait pas d’eau courante dans l’immeuble inachevé, mais j’ai aperçu des seaux
alignés près d’une entrée, en prévision d’un incendie vraisemblablement. Une
pellicule de saleté couvrait le contenu, des insectes morts flottaient à la
surface et cependant je me suis jeté dessus avidement. Au bout de quelques
gorgées j’ai dû m’arrêter à cause de l’odeur pestilentielle de cette eau
saumâtre, et parce que je ne pouvais éviter d’avaler des araignées ou des
mouches. Plus loin, dans l’atelier de menuiserie, j’ai découvert quelques
croûtes de pain. Moisies, couvertes de poussière et de crottes de souris, mais un
véritable trésor pour moi. Le menuisier édenté qui les avait détachées pour ne
garder que la mie ne se doutait certes pas que son geste allait me sauver la
vie.
Le 19 août, au milieu de cris terribles et de coups de feu, les
Allemands ont fini par expulser les habitants de la villa au coin de la rue
Filtrowa. J’étais désormais seul dans toute cette partie de la ville. Et les SS
surgissaient de plus en plus souvent dans le bâtiment. Combien de temps
allais-je pouvoir survivre dans ces conditions ? Une semaine ? deux ?
Ensuite, il n’y aurait plus que le suicide, à nouveau, mais cette fois je ne
disposais plus que d’une lame de rasoir, avec laquelle je me couperais les
veines. J’ai trouvé un peu d’orge dans un sac. Je l’ai mis à cuire sur le poêle
de l’atelier, attendant la nuit noire pour l’allumer, et cela m’a donné de quoi
tenir quelques jours de plus.
Le 30 août, j’ai résolu de retourner dans les ruines de mon
ancien immeuble, qui paraissaient enfin éteintes. À une heure du matin, avec
une cruche d’eau croupie à la main, j’ai traversé l’avenue à pas de loup. J’avais
d’abord pensé me cacher dans le sous-sol, mais les tas de charbon y brûlaient
encore car les Allemands revenaient attiser le feu. Finalement, j’ai trouvé
refuge dans l’un des appartements dévastés au troisième étage. La baignoire
était remplie à ras bord d’une eau sale mais précieuse, et dans le garde-manger,
que les flammes avaient épargné, j’ai trouvé un sachet de biscottes.
Au bout d’une semaine, assailli par un affreux pressentiment,
j’ai encore changé de cachette. Je suis monté au grenier, ou plutôt à la
plate-forme qui béait tout en haut du bâtiment puisque la charpente s’était
écroulée dans l’incendie. Ce même jour, les miliciens ukrainiens ont écumé à
trois reprises tous les appartements du bas, pillant ce que le feu n’avait pas
détruit. Quand ils sont enfin partis, je suis redescendu là où je m’étais tapi.
Les Ukrainiens étaient allés jusqu’à démolir le poêle en faïence, croyant sans
doute trouver de l’or derrière les carreaux.
Le lendemain, les soldats ont bouclé l’avenue dans toute sa
longueur. Une foule chargée de baluchons, les enfants accrochés aux jupons de
leurs mères, a dû défiler entre deux cordons de SS et de miliciens ukrainiens, qui
ont fait sortir plusieurs hommes du cortège et les ont abattus sur place, sans
aucune raison, tout comme dans le ghetto au temps où celui-ci existait encore. La
révolte s’était-elle achevée par notre défaite, alors ?
Mais non. Le pilonnement de l’artillerie a continué jour
après jour. En fendant les airs, les obus produisaient un son qui ressemblait
au vrombissement d’un énorme taon ou, pour moi qui me trouvais près de la ligne
de feu, à celui du remontoir d’une vieille horloge. Puis, venues du
centre-ville, de fortes explosions s’égrenaient régulièrement.
Plus tard, le 18 septembre, des escadrilles d’avions sont
passées au-dessus de Varsovie, laissant une traînée de parachutes derrière
elles. Étaient-ce des renforts envoyés à la rébellion ou des munitions, je n’aurais
su le dire. Ensuite, les secteurs de la capitale sous contrôle allemand
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